C’est peu dire que l’œuvre de Manset demeure insondable quand bien même elle serait cohérente, chaque nouvel album explorant ce que le précédent avait patiemment bâti tout en y apportant son lot de nouveautés. Pour dire les choses autrement, on n’en fait jamais le tour. Une nouvelle écoute et ce sont des motifs inédits qui se dessinent de manière invisible dans notre esprit ; la musique, la grande, possède ce pouvoir. Restons dans l’esprit où les associations d’idées jaillissent, où les postulats les plus culottés prennent forme. On vous en livre un ici, qu’il y a entre le douzième album de Manset et le Requiem de Gabriel Fauré comme une filiation au début imperceptible. Et puis, l’analogie se fait de plus en insistante, jusqu’à paraître crédible.
Des ponts entre les deux œuvres, il en existe, même si des différences se font clairement jour. De façon un peu paresseuse, nous dirons d’abord que la clarté, la luminosité des deux œuvres semblent évidente. À commencer par celle du morceau titre qui ouvre si majestueusement l’album. Les chœurs assurés par les Petits Chanteurs du Marais en accentuent la profondeur angélique, la fluidité quasi diaphane de la mélodie. On est au paradis, comme le In Paradisum qui clôt le Requiem déjà évoqué. Le dit Requiem, lui, nous apparaît dans sa pure abstraction que l’on perçoit également dans Vies Monotones dont la sobriété et les échos lui donnent des accents d’hymne de grande chapelle. Faisant songer aux propos de Bach qui disait : « Le but de la musique ne devrait être que la gloire de Dieu et le délassement des âmes. » Finir pêcheur et Que deviens-tu ? serait une sorte d’entre-deux, la rythmique tout en retenue, qui s’empêche par pudeur. Comme une prière se vit humblement dans le réduit silencieux du confessionnal. Ce que l’on pourrait dire malgré tout est que la musique de Manset sur tout l’album emprunte au sacré que Fauré explora à travers le genre canonique du Requiem et dont Mozart donna la pleine mesure. Paradoxalement, La mort d’Orion aurait pu être le Requiem de Manset. Lumièresn’en demeure pas moins la définition moderne la plus proche. Sur la face deux, Vies Monotones et son piano stellaire, noyé d’échos, incarnent à merveille cette idée de la liturgie faite mélodie où l’inspiration semble constamment sanctifiée. L’envol des violons qui retombent ensuite en accroît le pouvoir. Entrez dans le rêve en brise alors la magie éternelle même si le morceau, très Dire Straitien, conserve une certaine grandeur. Manset en est conscient, qui tire le fil de cette magnificence avec Un jour être pauvre. Le titre dit tout. On croirait un psaume, une parole évangélique, Manset serait un Christ moderne, imperturbable, marchant sur les eaux de la Création sans jamais sombrer.
Étonnant de se le dire, mais Un jour être pauvre fait songer au Loner avec son harmonica majestueux. Manset est à l’aise dans tous les registres, c’est sa force, sa culture, son terreau. Il est passé des cimes avec Lumières à la terre sur Un jour être pauvre. Comme un pionnier, un chercheur d’or musical. On le constate, on se le répète, il est au-dessus des autres, loin dans son rêve de perfection formelle et textuelle. Il ne lui a pas fallu plus de trente-neuf minutes pour le démontrer.
Gérard Manset, Lumières (EMI France)