Étonnant de débuter un article sur Black Sabbath par Led Zeppelin. Il y a une logique à cela. Led Zep assoit en cette décennie soixante-dix sa suprématie avec pas moins de huit albums dont six peuvent être légitimement considérés comme des classiques. Le dernier, le bien nommé Coda, ouvrant les années quatre-vingt de la plus singulière des façons, les morceaux étant tous issus de sessions s’étalant de 1970 à 1978. Le quatuor avait donc su, pardonnez la facilité, diriger sa carrière de main de maître, parvenant à se renouveler sans jamais trahir son credo du heavy rock et s’imposant à toutes les étapes de fabrication d’un disque – écriture, production, mixage – comme jamais ne l’avait fait un concurrent avant eux. Revenons à Black Sabbath, puisque ce texte a pour ambition, sinon désir d’aborder l’un de leurs albums les plus mésestimés, le dernier avec Ozzy Osbourne.
Black Sabbath aurait pu être considéré comme une formation à la marge. Paranoid – la chanson et l’album – sera d’ailleurs son plus grand succès. En cette année 1970 où tout semble bousculé, dissolution beatlesienne oblige, le single rivalise avec les meilleurs tubes pop. Et l’album ? 4 millions d’exemplaires écoulés, tout de même ! Si le groupe voit sa popularité croître, on a le sentiment que ses albums restent à la remorque du Dirigeable, Sabbath Bloody Sabbath affichant une ambition qui n’est pas sans rappeler celle de Houses of the Holy (même année, hasard ? nous ne croyons pas). Osbourne considérait déjà ce dernier comme l’acte final du groupe qui aurait, selon lui, amorcé ici son déclin. Alors imaginez Never Say Die qui arrive dans les bacs le 29 septembre 1978. Alors que vaut le disque qui referme si discrètement les seventies ? Tout d’abord, il vaut mieux que sa réputation et la pochette conçue par Hipgnosis s’impose comme la meilleure tête de gondole ! L’album s’ouvre sur le morceau titre et son riff imparable. Le couplet rock’n’roll se veut la parfaite introduction à un refrain qui annonce le ton : fraîcheur et immédiateté pop. Sur le pont, la voix trafiquée d’Ozzy ferait presque songer à celle de Roger Hodgson. Si Johnny Blade déroule ses premières secondes sur un tapis de synthés, il revient très vite à ce que le groupe sait faire de mieux, une musique âpre et ténébreuse cependant plus véloce qu’à l’accoutumée. Le groupe n’invente rien moins que le Ty Segall des années 2010, on pense ici à Sleigh Ride de Fuzz. À la suite, le groupe enchaîne Junior's Eyes sur un rythme plus relâché, entame trompeuse puisque cet arbre cache assez vite la forêt électrique que Tommy Iommi décide d’enflammer sur le refrain, séduisant et goguenard. Tout du long, le groupe évoluera entre deux eaux, entre langueur et explosion, avec cette idée géniale du couplet sous-mixé au bénéfice du refrain. Deuxième single du disque, Hard Road conclut habilement cette première partie.
Sur la seconde face, Black Sabbath aurait pu rejouer la même comédie, mais c’est mal connaître nos hommes. Shock Wavea la judicieuse idée d’introduire une guitare acoustique au milieu du déluge électrique – écoutez donc l’éblouissant solo traficoté. Ce n’est pas la première des transgressions. Air Dance porte bien son nom, qui troque la violence métal contre un jazz du meilleur effet, avec sa pluie de notes de piano, option inhabituelle pour le Sabbat Noir. Le morceau poursuit son appropriation en variant les rythmes à la manière des formations progressives, sans jamais passer pour plus grand qu’il n'est. Air Dance fascine par sa musicalité, sa théâtralité contenue, sans esbroufe, son orgue étouffé et son final à la limite du psychédélisme doorsien. Avec Over To You, le groupe prend goût à la majesté. Ça commence sur un riff laid-back mais net pour virer chanson de singer-songwriter sur le refrain avec ses accords délicats de piano, effacés par le riff de Iommi ; nous sommes chez Black Sabbath tout de même. La chanson finit en fade-out, saturé de synthétiseurs, étonnant mur du son… annonçant Breakout, instrumental co-écrit avec le chanteur qui était censé remplacé Ozzy – Oui, Ozzy avait quitté le navire avant d’entrer en studio – et sur lequel le leader incontesté, de retour, avait refusé de chanter. Sorte de tunnel impitoyable, Breakout et ses cuivres débridés, parfois free, préparent le terrain à Swinging The Chain, chanté par le batteur Bill Ward, et qui termine l’album en apothéose tellurique.
Finalement, Never Say Die séduit plus qu’il ne déçoit, grandit d’une chanson à l’autre plus qu’il ne semble faiblir aux yeux de ses contempteurs. Malgré ce très beau geste, Ozzy Osbourne se retire pour cause de carrière solo. Et c’est à Ronnie James Dio que revient la lourde tâche de lui succéder. Il tiendra deux albums, puis Ian Gillian reprendra le flambeau. Led Zep avait su s’arrêter, Black Sabbath continuera avec plus ou moins de bonheur et son lot de défections jusqu’au retour flamboyant avec 13 et le line-up originel, Tommy, Ozzy, Geezer mais sans Bill Ward. Never Say Die, qu’on vous disait !
Black Sabbath, Never Say Die (Vertigo)
https://www.youtube.com/watch?v=KJRXypUMD_w