Midland, Bleu de toi

par Adehoum Arbane  le 14.01.2025  dans la catégorie A new disque in town

Lorsqu’on lit La république invisible : Bob Dylan et l’Amérique clandestine de Greil Marcus ou lorsque l’on se plonge littéralement dans le documentaire Country Music : une histoire populaire des États-Unis, on prend conscience de l’âpreté de l’époque et à quel point cette existence rude avait inspiré des musiciens dont il faut rappeler que beaucoup pratiquaient la musique en amateurs. Quand le premier évoque des histoires de crimes sordides qui servent alors de carburant aux compositeurs, l’autre dépeint l’extrême dénuement des peuples des régions le plus reculées et pour lesquels la musique fut un palliatif à la misère, puis un espoir de carrière. La musique country s’est profondément modifiée avec le temps, s’abreuvant à la source des époques. Et aujourd’hui, où en est-on ? 

S’il est un genre qui aura su perdurer au fil des décennies, c’est bien la musique country. Chacune a connu sa révolution, ses héros et héroïnes. Toujours la country a conservé cette image, pardonnez la répétition, conservatrice. Cette musique, si elle n’est pas qu’une affaire d’hommes, s’inspire toutefois d’un imaginaire rude, celui d’une existence sauvage héritée des premiers pionniers et que la Grande Dépression a endurci davantage. Le mythe du cow-boy solitaire, taciturne est au cœur de la mythologie country, quand bien même il est parfois devenu un cliché quasi touristique. Lorsqu’on se penche sur le trio qui constitue Midland, on se retrouve les deux pieds dans ce même terreau. Stetson et santiags de rigueur, jeans usés par les vicissitudes de l’existence, barbes et moustaches pour surligner l’impression d’avoir à faire à des durs à cuire. Seuls les cheveux longs de hippies rappellent cette filiation avec les musiciens country de Laurel. Et que se dit-on à l’écoute de le leur dernier album, en fait un mini-LP ? Que Mark Wystrach, Jess Carson et Cameron Duddy sont des mascus sensibles. Leur musique s’inscrit à rebours des poncifs habituels. Nos trois musiciens se sont mués en Bee Gees de la campagne !

Preuve en est la musique enrobée dans une pochette du plus bel effet, comme une promesse de voyage sur une autoroute mélodique, musique qui s’écoule en un ruisseau de chœurs, d’harmonies vocales parfaitement enregistrées. Et fichtre, les chansons sont bonnes ! De Lucky Sometimes à Lone Star State of Mind, tout y est parfait, de bon goût, aussi doucereux qu’un alcool vieilli, légèrement passé mais toujours réconfortant. On y entend tous les instruments du genre, guitare, slide, harmonica, mais aussi de beaux motifs de piano. Le groupe fait preuve d’un admirable savoir-faire, cette science de l’écriture efficace et profonde qui est la marque des grands. Les voix sont belles, douces, chaudes. Les chansons de Midland ne sont pas l’œuvre de rednecks bas du front, comme en témoigne la chanson titre, le délicat et romantique Barely Blue. À peine bleu. Le titre tout en nuance dit l’essentiel de ce que l’auditeur doit retenir avant d’appuyer sur “play”. Better Than A Memory enfonce le clou, frisant parfois la mièvrerie sans jamais toutefois s’y perdre. C’est là la très grande force de ce disque bref, flèche envoyée en plein cœur. Old Fashioned Feeling emporte tout sur son passage, on est balayé par cette tornade sentimentale que l’on n’a vu ni passer ni frapper. En fermant les yeux, on se croirait parfois dans un disque de Georges Harrison.  

Le trio poursuit avec Vegas, toujours sur le même mood. Chose étrange, si l’ambiance ne varie que de très peu, on n’est jamais lassé. Ce disque s’apparente à une valse nostalgique entre deux êtres qui s’aiment et aiment à se le rappeler. Seul Baby It's You vient troubler ce délicieux sentiment d’abandon avec son thème efficace qui n’empêche pas le couplet de retrouver les accents d’une émotion eltonienne. Halfway To Heaven nous ramène du côté du Dylan des seventies et cette légère ondulation référentielle ne change en rien. On est bien avec Midland. Là encore, les refrains sont grandioses. Celui de Halfway To Heaven comme les précédents. Les musiciens sont parfaitement en place, la production ne commet aucune faute de goût. Ça coule plus que cela ne dégouline. Et Lone Star State of Mind d’apparaître comme une chanson de fin de face B idéale, poignante et mémorable. Comme les bons vins, on la garde longtemps à l’esprit. 

Si le seul défaut de Barely Blue est sa trop courte durée, sa force demeure en sa capacité de nous faire revenir à l’infini. Un peu comme Wasn't Born To Follow des Byrds dont les deux minutes et quatre secondes se transforment automatiquement en interminables heures. On aimerait que nos cowboys sentimentaux, pour ne pas dire proustiens, approfondissent sur un prochain disque cette veine pop FM si évidente, si subtile, qu’ils nous invitent à nouveau dans un bal de frissons rejoué éternellement. 

Midland, Barely Blue (Big Machine Label Group)

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https://www.deezer.com/fr/album/642577551

 

 

 

 


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