Mon top 10 est un top 11. Pourquoi ? Par volonté de défier le conformisme ? Par une incapacité bien compréhensible à trancher dans le gras de la production pop de l’année ? Un choix, assumé, qui très vite a relevé de l’évidence. J’avais décidé depuis sa parution le 23 février, pour ainsi dire dès le début, de placer en numéro un, c’est-à-dire au sommet, Singing A Song In The Morning Light: The legendary demo tapes 1967-1970 de Alan Hull. Après son écoute, je m’étais promis, pour ne pas dire obligé, à écrire une longue bafouille sur le bonhomme que je suis depuis un bon bout de temps, de ses premiers pas discographiques avec Lindisfarne jusqu’à sa carrière solo, poussant le vice jusqu’à explorer sa production des années 80-90 qui ne démérite pas, loin s’en faut.
Ce coffret nanti de quatre CD dont chacun dépasse largement l’heure d’écoute s’impose comme la pièce ultime pour qui aime le singer-songwriter moustachu. Il est intéressant de noter que Alan Hull, s’il a longtemps officié sous l’étiquette folk, se distingue de Richard Thompson dont le dernier album se retrouve dans cette même rétrospective. Thompson incarne tout comme Bert Jansch l’aristocratie de la folk anglaise, la branche la plus noble et sérieuse. Chacun dans son genre possède à son actif une production dense, éminemment novatrice, là où Hull cherchait à écrire des chansons folk qui sont au fond des pop songs. Ce n’est pas un hasard si George Harrison l’admirait sincèrement. Je ne dirai pas tout de cette rétrospective qui couvre les années avant Lindisfarne, j’écrirais dessus un jour comme annoncé. Cependant, je peux vous affirmer sans faiblir de l’excellence de l’ensemble et des qualités d’écriture de Hull, de son génie même. Au milieu des ébauches, versions premières de ses plus belles chansons connues, on trouve quelques inédits, des joyaux déjà fort bien taillés. Au-delà de l’évidence qui font les chansons populaires, on entend chez Alan Hull une sincérité ahurissante, un sentiment qui vous tire les larmes du dedans de votre corps ; même la personne la plus solide, au sang le plus froid, n’y résisterait pas. Écoutez donc Doctor Of Love.
Le top commencerait donc avec le faux numéro deux qui est un vrai premier, le meilleur album sorti en 2024. A Dream Is All We Know des Lemon Twigs, un rêve d’album dont le miracle fut prolongé sur scène, lors de leur passage au Bataclan. La suite pourrait sembler confuse, l’ordre ayant changé au cours des mois. Je mets juste après les Lemon Twigs le tout premier album solo de Geordie Greep, leader de feu black midi. Malgré ses excès, The New Sound s’avère une œuvre revigorante à une époque où le lisse prend trop souvent le dessus sur l’audace. Un tel disque, s’il fatigue parfois, fait un bien fou. Sa créativité débridée est la bonne nouvelle de cette fin d’année. Entre les deux, se situe La Luz. Ce groupe 100 % féminin a sorti chez Sub Pop un excellent disque jouant une mi-temps dans chaque camp, pour paraphraser le commissaire divisionnaire Stanislas Borowitz, celui de la mélodie et celui de du psychédélisme. Passons à un nouveau disque et un autre genre. Midland est un trio de country avec une de ces dégaines qui séduisent ou font fuir. Croyez-le, ils ont sorti un mini-album qui fait regretter de ne s’être étendu en propos tant les compositions sont d’égale qualité, immédiates et délicates. De quoi faire oublier l’élection intervenue entre temps. Dans une catégorie voisine, celle du folk, nous retrouvons l’Anglais exilé en France, à Montreuil tudieu, Nick Wheeldon. Plus proche de Dylan que de ces aïeux britanniques dont il sera question juste après, le prolifique musicien nous régale avec cet album hyperproduit, aussi chatoyant qu’une aurore. Richard Thompson, que nous avons annoncé avec tambours et trompettes, est un vétéran de la scène folk rock anglaise. Après la passionnante saga Fairportienne, Thompson a sorti des albums sous son nom, avec ou sans Linda, son épouse. Il nous revient avec un très beau disque où son talent d’écriture et sa science guitaristique, relevant du quasi-sortilège, éclatent à nouveau. Sans parler de la pochette où le musicien semble s’amuser de lui-même, de sa légende. Un must qu’on aurait pu aisément remonter dans le classement. Classement dont l’ordre n’est pas à prendre au pied de la lettre.
Sautons une ligne comme on changerait une face. Parlons de ces sacrés Français. Aline pour ne citer qu’eux, qui ont brillé avec un troisième vrai-faux album, La Lune sera bleue. Faux car il s’agit d’une compilation. Vrai car il possède la cohésion et la force d’un authentique LP avec ses tubes lumineux, ses moments plus sombres. Bref, un clap de fin (?) formidable. Restons un moment en France et faisons le coq avec le sieur Olivier Rocabois qui nous promet le grand frisson avec The Afternoon Of Our Lives. Engagement tenu pour cet orfèvre breton qui a troqué ses braies contre des refrains à jabot ! Finissons avec deux groupes. L’un dont le disque a reçu un accueil mitigé mais qui prouve cependant à quel point MGMT, puisqu’il s’agit de lui, demeure une formation experte, à l’aise dans l’art d’écrire des chansons alambiquées mais constamment séduisantes. Enfin, Plantoid, curieux patronyme pour un groupe qui ne l’est pas moins puisque ces jeunes musiciens aux allures de branchés londonien ont livré un premier album plus qu’intéressant, entre progressif et jazz rock, mais avec quelques belles trouvailles mélodiques. Affaire à suivre pour ce quatuor.
Voilà pour cette année. Il y aura pour certains de nombreux oublis, mais un top n’est-il pas le reflet de ce que l’on aime écouter ? Un top doit rester dans une certaine zone de confort pour ne pas faire passer son auteur pour un inconséquent, un trublion infidèle, un paltoquet de la pire espèce. Un vivre-ensembliste de la musique.
Mon Top 2024 :
Alan Hull, Singing A song in the morning light: the legendary demo tapes 1967-1970
The Lemon Twigs, A Dream Is All We Know
Geordie Greep, The New Sound
La Luz, News of the Universe
Midland, Barely Blue
Nick Wheeldon, Waiting for the Piano to Fall
Richard Thompson, Ship to Shore
Aline, La lune sera bleue
Olivier Rocabois, The Afternoon Of Our Lives
MGMT, Loss of life
Plantoid, Terrapath