Gaîté Lyrique. Un nom qui pourrait au fond résumer le ton du premier album solo de Geordie Greep, ancien leader de black midi, qu’il défendait sur la scène parisienne devant un public bigarré qui lui semblait acquis. Le concert démarre avec le groupe mais sans son frontman. Une sorte de jam cosmique envahit le cube totalement fermé de cette grande salle. Frontman nous disions, et c’est le cas de le dire. Geordie Greep arrive enfin, chevelure blonde à la Trump posée sur un visage à la Jesse Plemons. Place aux choses sérieuses ! Cependant, le musicien anglais a choisi un habillage lumineux pour ses nouveaux morceaux qui conservent cette part d’expérimentation brute à laquelle il fut depuis toujours attaché. Une main de fer dans un gant de velours, en quelque sorte.
Pour autant, le set s’éveille avec le rutilant et virevoltant Walk Up dont la version studio empruntait déjà au Zappa des années 72-73. Terra lui fait suite, on pourrait définir ce morceau comme le single de l’album. Dès son entame, on retrouve la délicate mélodie servie par des musiciens techniques comme un gouvernement, mais inspirés comme une assemblée. Seul petit bémol, la prise de son nous privant du refrain scandé en chœur par les musiciens. On passera vite l’éponge tant l’interprétation nous transporta ailleurs. Il faut préciser que Geordie Greep ne se contente pas d’être un soliste inspiré, il s’assume comme un chanteur charismatique, quasi crooner dans ses beaux habits de metal jazz ou jazz metal, peu importe en vérité. Sans laisser retomber l’énergie et l’enthousiasme, l’un nourrissant l’autre, le groupe enchaîne sur The New Sound. Là, on atteint une sorte de félicité avec une pensée qui surgit alors : quel groupe fait ce type de musique à la croisée des genres ? L’écho de cette question résonne encore lorsque Geordie Greep nous annonce que le prochain titre sera une chanson du violoncelliste Felix Stephens, une sorte de rock entre les Who et Queen qui n’a que peu de rapport avec la musique précédemment jouée, ce qui ne l’empêche pas de recevoir les suffrages du public qui scandera à la fin « Felix, Felix, Felix ».
Through a War reprend l’offensive greepienne. Et c’est là que, dans un moment de générosité absolu, Geordie perd un peu le contrôle et le public avec. L’artiste se faisant plaisir à jammer sans réellement nous embarquer mais là encore, cette prise de risque ne doit pas être condamnée. À l’heure où les groupes rejouent en live leurs albums à la note près, la folie, l’audace, la déraison doivent être vues comme des vertus cardinales. D’autant que le compositeur a la bonne idée de nous rattraper avec Holy dont les premières notes sonnent la fin de la récré. C’est au passage le deuxième single de l’album. Un morceau sacré, sacrément bon, joyeux, indécemment virtuose. Après le bruitiste Blues (qui ouvre l’album), le weather-reportien Bongo Season lui succède dans une sorte de transe lumineuse, caracolante. Le set – de presque deux heures – se termine dans l’éther jazz de The Magician, dont le titre dit ce que le morceau comporte de sortilèges. Comme nous l’avons évoqué quelques lignes plus haut, le concert est à l’image du disque, il se veut le prolongement d’un état d’esprit épris de liberté et qui tranche avec la convention frileuse de l’époque. Si The New Sound est une création dense, foisonnante, sa version live pousse encore plus loin tous les curseurs. C’est ce point de rupture-là qui force le respect. Suivre son instinct, penser au public sans en être l’esclave, ne jamais être à la remorque des modes, envisager l’expérimentation mais tous azimuts, ne rien s’interdire, n’en faire qu’à sa tête, faire fi de tout. Quitte à choquer. Les plus grands représentants de l’art moderne ont toujours été mus par cet idéal. S’agissant de Geordie Greep, sa musique n’est pas fondamentalement novatrice, c’est un amalgame réussi de diverses influences transcendées par une interprétation que l’on apprécie davantage encore sur scène. Ce petit homme possède une voix de géant. Tout en lui est grand. Un double album pour débuter ? Qu’à cela ne tienne ! Un concert qui se transforme en performance ? Ok pour lui. Et dire que ses belles années sont devant lui... Ce que l’on appelait naguère une carrière. Sans doute que l’étape suivante sera de s’arracher à ses références, qu’on ne pense plus Zappa, Magma, Return to Forever, Mahavishnu Orchestra ou encore cette pierre angulaire qu’est Bitches Brew à l’écoute d’un morceau. Alors on repense au concert à la Gaîté Lyrique, on essaie de retrouver des bribes, des pièces de ce gigantesque puzzle sonore. On est à nouveau captivé et encore plus lorsque l’on cherche dans les dédales de l’internet d’autres prestations du groupe. À ce moment précis, on ne pense à rien d’autre. On a même oublié Redcar, enfoncé comme un clou par le marteau de sa propre folie.
Geordie Greep, Gaîté Lyrique 3 décembre 2024
Photo : Laetitia Mavrel
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