Paul Simon, American seum ?

par Adehoum Arbane  le 01.10.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Plus on parle de l’anxiété, plus on transmet de l’anxiété. Cet axiome pourrait sembler une banalité. Il n’a jamais été aussi tangible à l’aube des seventies, dans la pop musique. Que ce soit à travers Child In Time ou des chansons folk engagées, comme celles d’After The Gold Rush. Le tableau dépeint par les artistes du moment n’est guère rassurant, pour ne pas dire sombre. Une nouvelle génération de groupes cherche un antidote à la morosité, ce qui donnera le glam rock. Une autre, tout droit venue des États-Unis, invente une forme de folk aux refrains enjôleurs et à l’introspection en surface, histoire de ne pas trop remuer le couteau dans la plaie. C’est la douce vague qui déferle alors sur Laurel Canyon et qui connaîtra plusieurs incarnations. 

Paul Simon a grandi dans le Queens où il fit la connaissance d’Art Garfunkel, avec qui il forma le duo le plus célèbre des sixties. Malgré leur aspect juvénile, les deux amis frappent fort et marquent les esprits avec le splendide et spectral Sounds of Silence. Entre beauté et solennité, leur production évoluera jusqu’à l’année 70, où ils décident de se séparer. Paul Simon s’apprête à entamer une carrière solo, conscient qu’il peut faire aussi bien privé de la voix pourtant angélique d’Art. 1972 : un premier album confirme cette intuition. Pour le second, Paul Simon décide d’aller à rebours du pessimisme ambiant. L’album sortira quelques mois avant le premier choc pétrolier et le scandale du Watergate. S’il aborde des sujets plutôt conventionnels, l’amour, la paternité, le nouveau Paul Simon choisit la nostalgie. On le découvre sur la pochette où apparaît une photo du jeune homme, prise dans les fifties, puis on se met à l’apprécier au travers des chansons dont le parti-pris sucré, soyeux, nous surprend. Preuve en est le choix d’inviter le fameux groupe de gospel The Dixie Hummingbirds ou de demander à Allen Toussaint d’arranger certaines de ses chansons. Mais Paul Simon ne tombe pas dans le passéisme pour autant. Un, il enregistre avec les musiciens les plus en vue (Paul Griffin, Quincy Jones, Airto Moreira, Phil Ramone). Deux, il opte pour des compositions résolument pop, mélodiques et accessibles, comme en témoigne l’entame de Kodachrome dont le sujet est à lui seul une preuve de modernité. Trois, c’est sur cet album que Simon assume totalement son penchant pour les musiques extra-occidentales, ce que l’on appellera plus tard world music et dont Graceland sera l’un des plus beaux porte-drapeaux. 

Fort de ses choix, Simon aborde donc ce nouveau disque en confiance et cela s’entend. Les chansons sont toutes réussies, baignant dans une luxuriance à laquelle le précédent disque ne nous avait pas habitués, même si celui-ci goûtait déjà aux joies de la production. Sur There Goes Rhymin' Simon, le son est plus chromé, les instruments rutilent de toutes parts. On sent que Simon et ses musiciens ont passé du temps en studio, de septembre 72 à janvier 73, à polir les chansons. Alors que la première face enchaîne les réussites (TendernessSomething So Right pour ne citer que ces titres), la seconde débute de manière impériale avec American Tune, inspiré du chant O Sacred Head, Now Wounded et d’une composition de Bach. C’est sans doute la chanson qui rappelle le plus l’écriture du Paul Simon des sixties et ce n’est pas un hasard si elle sera interprétée lors du concert de la réunion du duo à Central Park. Après une telle décharge émotionnelle, Simon retrouve le coton des musiques caribéennes sur Was A Sunny Day. Et là, sans le demander, c’est la suite rêvée, magique qui commence avec le très beau (et folk) Learn How To Fall à l’orgue tourbillonnant et St. Judy's Comet dont la douceur n’interdit pas l’efficacité mélodique, préfigurant le Macca des mid-seventies (on songe à Wings At The Speed of Sound). Paul Simon referme son album par un single aux accents gospel et dont le titre, Loves Me Like A Rock, demeure un clin d’œil évident à I Am a Rock de 1966. Mais au-delà, la chanson s’impose comme un hymne à l’amour maternel et à l’accomplissement personnel qui fait dire à Simon ces paroles non dénuées d’humour : « And if I was President/The minute congress call my name (Was the President)/I'd say now, who do/Who do you think you're foolin'/I've got the Presidential seal (Was the President)/I'm up on the Presidential podium/My mama loves me, she loves me. »

Ainsi va Paul Simon, qui ne se pare jamais de vertu ni ne se paye de mots. Voilà un auteur qui aura dit avec simplicité des choses universelles. Voilà un musicien qui aura poussé loin le langage pop, avec clarté et subtilité. Paul Simon est de loin l’un des plus talentueux mélodistes de l’Amérique, de ces compositeurs dont les trouvailles, pardonnez-moi, aidèrent la médecine à couler. Celle des années 70 était sévère. Paul Simon aura troqué cette gravité contre le miel de ses souvenirs d’enfance, d’adolescence, ses joies de jeune papa. Ni prétention, ni misérabilisme. Simon n’aura jamais été un Ken Loach américain. Il aura été tour à tour un masque de mardi gras, une pellicule d’appareil-photo, un rayon de soleil, une comète crépitante. Un concentré de tendresse. Un air américain, mais un air pur. 

Paul Simon, There Goes Rhymin' Simon (Colombia)

1973-there-goes-rhymin-simon.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/608447

 

 

 


Top