Pink Floyd, à la pompe

par Adehoum Arbane  le 24.09.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Depuis Revolver, la pop est par définition l’art de la réinvention. Difficile exercice qui n’aura épargné personne, des plus grands aux queues de comète, et qui oblige chacun au dépassement perpétuel. Pour survivre dans un monde où la concurrence des talents fait rage. Les Beatles encore et toujours les Beatles, dont l’excellence était devenue une obligation quasi contractuelle, réalisèrent cet exploit et choisirent de s’arrêter au bon moment, avant l’inévitable déclin. Pink Floyd qui démarra dans les affres du psychédélisme pour s’imposer dans la décennie soixante-dix, faillit connaître ce sort-là. À force de travail, de remise en question, le groupe parvint, dans la douleur, à clore cette époque en beauté, bâtissant un mur dont Waters savait qu’il était infranchissable. Malgré la suite, The Wall incarne l’acmé du groupe. Mais avant cela, avant même Dark Side, Pink Floyd qui avait déjà vécu plusieurs 1789 en son sein frappa fort. C’était le 4 octobre 1971. 

Meddle pensez-vous, eh bien non ! Pour être plus exact, la révolution surgit ce 2 septembre de l’année 72 quand le public découvre le premier concert du Floyd sans public. Le concept est du réalisateur, Adrian Maben qui avait cependant d’autres idées pour le projet. Tout d’abord, il avait imaginé filmer le groupe en train de jouer au milieu de toiles de Magritte et de Giorgio De Chirico. L’idée est heureusement écartée. Maben part en vacances à Naples et visite Pompéi. Il perd son passeport. Il y retourne pour le retrouver. Et c’est là que le déclic survient. Dans ce décor étrange, détruit et à la fois préservé, où tout semble figé, le silence souverain règne. Mais la nature ayant horreur du vide, les ruines de Pompéi n'attendent qu’une chose : la musique de Pink Floyd. À l’automne 71 donc, le groupe, Steve O’Rourke, Maben et leurs équipes, tout ce petit monde de techniciens lunatiques s’installe dans l’amphithéâtre du site. Plusieurs détails qui ont leur importance sont à noter. Toaut d’abord la setlist. Pour cette expérience exaltante, le groupe s’appuie sur les morceaux qui ont fait le succès des précédentes performances en festivals, notamment. Careful With That Axe, EugeneA Saucerful Of Secrets et Set The Controls For The Heart Of The Sun dont les ambiances, les tonalités correspondent idéalement aux lieux. Il a le bon goût d’étrenner les deux morceaux phares de son nouvel album, Meddle. Echoes, Part I ouvre si l’on ose dire le bal et Echoes, Part II le referme. Au milieu, parmi les débris de sonorités cosmiques, One of These Days transperce la matière comme une flèche. C’est peu dire que ce morceau ouvertement rock convient au format live. Seul Mademoiselle Nobs dénote quelque peu, même s’il offre une pause amusante et décontractée, comme en atteste le film, le morceau étant chanté par la chienne de Madonna Bouglione, la fille du directeur de cirque. 

Nous étions avertis du concept. Cependant, où sont les spectateurs ? La question mérite d’être posée car ce sont les images qui nous montrent l’auditoire de Pink Floyd durant ces quatre jours de tournage où les musiciens jouent de jour comme de nuit, une autre brillante suggestion du réalisateur. Car ici, la musique est indissociable de l’image, les deux font partie de l’expérience. Allons même jusqu’à dire que Pink Floyd at Pompéi est bien plus qu’un simple film diffusé en salles, comme ce fut le cas entre 72 et 74, dans des versions différentes. Surtout si l’on fait abstraction des séquences filmées en studio et des interviews, montrant la gestation de Dark Side Of The Moon. Les moments live sont en toute logique les plus captivants, et pas seulement pour la prestation du groupe qui y est excellente, nul besoin de le dire. La mise en scène donne à ces instants saisis sur la pellicule une magie, une force peu commune et qui rend par miracle justice à la musique si particulière du Floyd. Nous nous interrogions sur le public, volontairement absent. N’est-il pas représenté de façon invisible par les fantômes qui peuplent les ruines de Pompéi ? Par ailleurs, Maben choisit souvent de filmer grand angle et en surplomb, nous permettant de découvrir les vrais témoins de la performance, les ingénieurs affairés à capter les prises dans les meilleures conditions (quand bien même nous avons appris entre temps que le groupe fit des re-re en studio sur Echoes). Cet angle de caméra jupitérien donne à Maben des allures de Dieu contemplant la scène si pittoresque du haut de son Olympe. Va-t-il acquiescer ou déchaîner les feux du volcan endormi en guise de punition ? Le dispositif de caméra est suffisamment complexe pour offrir des images variées et permettre un montage dynamique et nous faire dire ceci : en live et si nous avions été là, aurions-nous pu voir et apprécier le groupe dans de telles conditions, le suivre, l’entourer, l’observer sous tous les angles ? Sans doute pas. De temps à autre, fond vert en guise de trucage, Maben plaque sur l’image un fond différent, moins naturaliste : des images de fresques peintes, des plans du volcan en activité ou le groupe jouant le même morceau en très gros plans. Maben considère que la musique du groupe est suffisamment consistante, passionnante pour ne pas l’affadir par des images convenues. Il faut que l’ensemble passionne, remue, soit constamment éruptif. 

Pink Floyd. London. Un simple logo au pochoir apposé sur une enceinte nous raconte à quel point l’Angleterre fut et restera l’épicentre de la création. Une île monarchique certes, conservatrice admettons, mais dont la fantaisie des nursery rhymes fut, entre autres, le creuset des plus belles inventions musicales. 

Pink Floyd, Live at Pompeii 1972 (DVD-CD) 

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https://www.youtube.com/watch?v=OcwbxVIhn1I

 

 

 


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