Il est encore bien présent, le vieux mâle dominant de 54 ans. Cette phrase résonne comme un enseignement, non comme un regret ou une colère. James Murphy nous l’a prouvé en cette soirée du 25 août, clôturant les cinq jours de cette édition 2024 du festival Rock en Seine. Machine culturelle et financière qui n’est pas exempte de critiques mais nous ne sommes pas là et nous ne fîmes pas le déplacement pour faire l’amer constat d’un modèle économique bien huilé. Pas plus que nous nous attarderons, sinon par une brève citation, sur des considérations sociologiques : âge et tendance vestimentaire du public, habitudes de consommation, Safe Zone, discours progressiste banalement de rigueur., vivre-ensemblisme et inclusivité au programme. Non.
Si nous avons fait le déplacement, comme beaucoup, c’est avant tout en connaissance de cause. Pour retrouver de vieux amis. Le fameux mâle, leader d’un groupe qui aura légèrement bougé avec les années mais qui reste fidèle à son créneau, nous l’évoquerons plus bas. LCD Soundsystem ne revient pas pour défendre un nouvel album, il n’en a pas sorti depuis 2017. LCD revient en France pour l’honneur. Pensez, il s’est passé huit ans depuis leur dernière visite. Pour le plaisir aussi. L’indicible plaisir de jouer, de s’abandonner tout en guidant savamment son public vers l’extase, voilà le talent de la formation aguerrie. Ce qui la rend unique et au-delà de ses multiples qualités – cohésion, maîtrise instrumentale, engagement et enthousiasme – est qu’elle n’a jamais varié avec les années. Aucune compromission à l’époque, aux modes, aux facilités, voire aux tentations mercantiles ne l’ont dévié de son créneau/credo. Ce qui donne parfois l’impression d’assister au même concert, impression compréhensible sachant que la setlist capitalise largement sur ces morceaux épiques et universels qui ont la chance de figurer dans le répertoire du groupe, la chance encore que, puisque ces chansons (elles peuvent revendiquer ce statut) doivent à l’écriture de Murphy et de certains de ses acolytes dont le bassiste qui ne s’appelle pas Tyler Pope pour rien. Au cœur du dispositif sonique, le batteur Pat Mahoney figure également aux crédits de quelques-uns des morceaux les plus emblématiques de LCD. Deux considérations à leur propos. D’abord et comme l’avions suggéré, il s’agit de chansons habillées d’électronique, revenant ainsi la tradition du rock, celle du divertissement pur, qui n’interdit pas cependant la grâce mélodique, prérogative de la pop. L’amalgame des deux se résout dans une alchimie idéale qui ne nuit à l’un ni l’autre. En nous en venons au second point. LCD Soundsystem a créé un style dans le creuset de ses origines, tout à la fois punk et dance, en y ajoutant le chant majestueux de James Murphy. De fait, on pourrait résumer cette musique comme la rencontre non fortuite parce que voulue entre Sinitra et Kraftwerk. Ce n’est pas un hasard si Murphy débute le premier morceau par cet emprunt au groupe de Düsseldorf : « Radioactivity/Is in the air for you and me ». Il y en aura d’autres. La liste des influences ne s’arrête pas en si beau chemin. On y trouve du Bowie, un peu voire beaucoup de Human League (Dare notamment), Georgio Moroder, Neu!, un petit bout des Monks et l’inventaire pourrait s’allonger à l’infini sauf que… Sauf que LCD Soundsystem n’a pas rassemblé ses influences telles un puzzle. Chacune se trouve parfaitement assimilée sans que l’une d’elles ne ressorte au détriment des autres. De ces ingrédients, car il faut les considérer ainsi, LCD a cuisiné une musique franche et singulière, respectueuse et à la fois différente, actuelle, immortelle.
Sans entrer dans le détail des morceaux, dans le récit des impressions à la lettre près, minute après minute, affirmons que cette heure et demi de set fut pareille à un bloc puissant fait de sons et d’images – le visuel compta autant que le reste –, un long trip psychédélique entêtant mais jamais anesthésiant et où les basses, décuplées à des moments clés, nous enveloppèrent jusqu’à l’écrasement, comme les anneaux du serpent. Au milieu de cette orgie, Murphy réserva des instants d’intenses émotions, comme lors de Someone Great dédié à leur ami disparu, Justin Chearno. On eut l’impression de voir pleurer la claviériste Nancy Whang. Jamais le corps n’aura si bien côtoyé l’esprit et inversement. L’émotion palpable nous fait dire que James Murphy et ses musiciens ont réussi l’impossible, ce qu’au fond Daft Punk n’a jamais réussi à réaliser : mettre de la chair dans ses machines.
LCD Soundsystem, Rock en Seine, 24 août 2024 :
Real Good Time Together, chanson de Lou Reed
Get Innocuous!
I Can Change
You Wanted a Hit
Tribulations
Movement
Tonite
Someone Great
Losing my Edge
Home
Dance Yrself Clean
New York, I love you but you’re binging me down
All my Friends
I Can't Go For That, chanson de Hall & Oates
Photo : Olivier Hoffschir
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