The Byrds, Notorious Big

par Adehoum Arbane  le 09.07.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Le bouillonnant et turbulant Crosby s’est-il dit, en fin d’année 1967, cette phrase prophétique : « Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant, on va voir comment ils s’en sortent. » Ils, ce sont Roger McGuinn et Chris Hillman. Il faut dire que cette année décisive pour la pop l’est tout autant pour les Byrds qui traversent une période complexe où les egos se percutent et se séparent dans les éclats de voix de la dissension. Crosby aimerait que le groupe cesse les reprises qui ont fait son succès – il n’aime pas Goin’ Back. Il veut surtout placer ses chansons, dont le sulfureux Triad, et trouver ainsi la place qu’il mérite, à ses yeux. McGuinn se dit sans doute, avec sagesse, que si l’aventure est une chose, s’appuyer sur des compositions puissantes s’avère plus prudent. Il ne veut pas détruire ce que son groupe a patiemment bâti. Ces deux lignes, pour légitimes qu’elles soient, sont donc dans l’impossibilité de se croiser. Mais du chaos naît toujours la beauté. 

Crosby s’en va… au vent mauvais ? Pas réellement. Il produit d’abord le premier album de Joni Mitchell puis rejoint ses amis de toujours, Stills et Nash, pour former le trio bien connu. Entre 68 et 71, il vivra les plus belles années de sa carrière, sur le plan créatif et populaire. Quant aux deux Oyseaux restants, et quelque peu déplumés, ils tentent de négocier ce délicat tournant. Malgré son titre avenant et harmonieux, The Notorious Byrd Brothers est l’album de tous les dangers. Déjà la pochette. Shootée par Guy Webster qui avait déjà réalisé celle du précédent opus, celle-ci n’annonce pas réellement ce que l’auditeur trouvera gravé dans les sillons. Pour la petite histoire, la maison de pierre est située à Malibu Canyon, au cœur de Topanga, paisible vallée au sud-ouest de Laurel Canyon. Webster trouve une grange abandonnée avec quatre fenêtres devant lesquelles il place les trois musiciens et un cheval qui se trouvait dans le champ à côté. Cette présence a longtemps alimenté les débats. Était-ce une moquerie à l’égard de Crosby ? McGuinn trancha en disant que si cela avait été le cas, il aurait montré le cheval de dos. Un cul pour le Cros. Du côté du line-up et comme nous l’avons dit, un licenciement et deux défections, Cros, Gene Clark et le batteur Michael Clarke. Cette avanie survient en octobre 67, après quatre mois de studio, et oblige McGuinn & Hillman à recruter les musiciens de session les plus en vue à LA : Hal Blaine, Jim Gordon, Barry Goldberg, Paul Beaver (de Beaver & Krause), Curt Boettcher et le producteur Gary Usher, dont on sent ici la patte. 

Miraculeusement, ce climat orageux ne vient pas rompre l’harmonie du disque. The Notorious Byrd Brothers parvient à dépasser les rancœurs de ses créateurs et s’impose comme le sommet artistique du groupe. Il crée habilement un lien entre les Byrds originels et les Byrds du futur, plus country. Un équilibre constamment maintenu et qui n’empêche pas McGuinn de se transformer en sorcier novateur. Et c’est Artificial Energy qui l’incarne le mieux. Avec ses trompettes figées en un bloc compact, la chanson renvoie à So You Want to Be a Rock 'N' Roll Star. Sauf que le groupe étrenne les effets studio qui font déjà le bonheur des groupes psyché des deux côtés de l’Atlantique. Et pour cause, le texte assume la référence aux amphétamines. Le phasing propulse le tout dans une autre dimension, cinquième pour le coup. Goin’ Backrevient aux fondamentaux, si ce n’est qu’il introduit la slide qui entre dès lors dans la grammaire du groupe. On ne comprend pas trop la fixation de Crosby tant la chanson ainsi réinterprétée paraît délicate, country sans trop le dire, avec son violoncelle cérémonial. Ce qui est intéressant ici tient au fait que les reprises n’appartiennent pas au répertoire dylanien. De fait, les Byrds peuvent légitimement se les approprier. On passe à Natural Harmony qui, là aussi, revendique son appartenance au genre psychédélique. Mais la créativité du groupe tient autant à l’écriture de Hillman qu’au travail de production et de mixage, la chanson se fondant dans la limpidité de Draft Morning, chanson collégiale signée Cros/Hillman/McGuinn. Le pont magistral, avec sa trompette et ses bandes sonores guerrières, annonce ce que fera l’Airplane sur Lather (Crown Of Creation). Le morceau retrouve alors le calme de ses débuts afin de préparer l’arrivée quasi mystique du chef-d’œuvre, Wasn't Born To Follow. Bien sûr, la chanson vaut pour son éblouissante présence dans Easy RiderWasn't Born To Follow, c’est un peu le credo de nos deux motards hippies incarnés par Peter Fonda et Dennis Hopper. Le solo est sans doute le plus bel exemple d’utilisation de phasing de toute l’histoire de la pop, et ce sont les Byrds qui ont réussi ce tour de force. C’est aussi la parfaite incarnation de la musique dont rêva toute sa vie Gram Parsons. Get To You conclut cette enchaînement gracile et la face A avec. 

Face B, Change Is Now donne à voir ce que feront les Byrds sur le disque suivant, tout en continuant d’explorer à leur manière la limpidité du rock acide – à L.A., il se différencie de son pendant san franciscain. Old John Robertson est une courte parenthèse, sans doute le morceau le plus ouvertement country que le phasing peine à travestir. Aucun problème puisque les Byrds nous emmènent dès Tribal Gathering dans un voyage éthéré, entre folk-rock et jazz. Immédiatement, on reconnaît la plume de Crosby, le titre préfigurant ce que le moustachu fera sur son premier album solo, cette forme de légèreté, cette vapeur harmonieuse, comme une brise marine que le solo "dissonant" vient alors perturber. Dolphin's Smileapparaît comme le prolongement naturel de Tribal Gathering, la chanson miroir. Même délicatesse brisée comme un songe par un enfer électrique qui finit par se diluer. Chez les Byrds, la folie est toujours contenue, elle n’en est que plus belle. L’album se referme sur l’étrange et quelque peu bad-trippant Space Odyssey où McGuinn s’adonne à sa nouvelle passion pour le Moog. Les Byrds ont déclaré à l’époque s’être inspirés de Revolver des Beatles – album de 66 quand même –, prouvant que les quatre de Liverpool étaient encore en cette fin des sixties scintillantes l’inamovible phare inspirationnel qu’ils avaient toujours été. Les critiques ne s’y sont pas trompés, qui surnommèrent les Byrds “les Beatles américains”. 

Après The Notorious Byrd Brothers, cet esprit pionnier s’en retournera à sa définition originelle, résumée dans la magnifique pochette de Sweetheart of the Rodeo. Adieu les sorties de route stellaires, les expérimentations discrètes mais flashantes de ces années 67-68. En ces temps, les Byrds furent grands. 

The Byrds, The Notorious Byrd Brothers (Columbia)

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https://www.youtube.com/watch?v=F81qykonFoI

 

 

 

 


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