The british Jefferson Airplane ?

par Adehoum Arbane  le 16.07.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Les comparaisons sont-elles abusives, ou du moins restrictives ? Pour résumer, comparer serait rabaisser. Débat sans fin aux inépuisables ressources argumentatives et qui continuera de faire couler les encres des Danaïdes de la critique. Et cependant…  Peut-on prendre en considération avec un peu de sérieux le surnom dont la critique affubla Fairport Convention, soit “The british Jefferson Airplane” ? Dit comme ça, dans la langue de Shakespeare, la sentence paraît moins lourde, voire flatteuse. British en français a signifié avec le temps, élégant, distingué. Commençons par dire que le Jefferson Airplane a sévi à San Francisco un an avant l’Été de l’amour pour vivre son apogée artistique entre 1967 et 1969. Grace Slick (et Darby) apporta au groupe son mythique single, Somebody To Love, et le propulsa au firmament de la pop et donc de la popularité. Ce hit imparable permit à Surrealistic Pillow d’atteindre la très respectueuse troisième place du Top 200. La comparaison aurait pu être honteuse s’agissant d’un autre groupe, et ce d’autant que l’Airplane provient de la bordélique scène de San Francisco. 

Mais contrairement aux hippies débraillés qui pullulent à Haight-Ashbury ou dans les ténèbres vertes du Golden Gate Park, l’Airplane a tout de la confrérie de folkeux romantiques à l’esprit dylanien, le lysergisme en plus. Qu’en est-il de Fairport Convention ? Précisons d’abord qu’il prend sa source au nord de Londres, dans le quartier de Muswell Hill où s’entrecroisent les destins du jeune bassiste Ashley Hutchings et des guitaristes Simon Nicol et Richard Thompson. La rencontre est à ce stade fondatrice. Des trois, c’est encore Ashley Hutchings qui représente le mieux l’âme véritable de Fairport. Son père est comme lui musicien, mais Hutchings s’ouvrira à la musique de lui-même, en regardant du côté de la folk, mais aussi du jazz. L’essence du groupe se résume ici, dans cet idée de creuset culturel. Les trois jeunes garçons répètent alors au premier étage de la maison médicale où le père de Simon Nicol officie, maison appelée « Fairport » et qui donnera son nom à la jeune formation. C’est d’ailleurs l’un de leurs amis communs, Richard Lewis, collectionneur de disques, qui propose le double nom de Fairport Convention dont la sonorité polysyllabique rappelle donc le Jefferson Airplane, mais aussi Quicksilver Messenger Service, Strawberry Alarm Clock et Hapshash and the Coloured Coat. En 1967, le batteur Shaun Frater les rejoint. Au cours de l’année, le line-up évolue. Martin Lamble remplace Frater, Ian Matthews devient le chanteur du groupe et surtout, une femme vient le doubler, au bon sens du terme. Il s’agit de la diaphane Judy Dyble. La même année, elle osera déjà dire : « Anyone who dares compare us with the Jefferson Airplane will be pelted with bad herrings !* » selon les dires de Richard Thompson. C’est pourtant à partir de ce moment, sur scène et bientôt sur disque, que se cristallise la fameuse analogie Airplanienne. Il faut dire que Jefferson Airplane s’impose alors comme la matrice de bon nombre de groupes californiens qui testent eux aussi les joies d’une telle combinaison vocale, homme-femme, femme-homme. La parité existait déjà dans le rock en 1967, avec les Mamas & Papas comme son expression parfaite. Les groupes bis s’engouffrent ainsi dans la brèche, certains iront même jusqu’à singer le timbre de Grace. Parmi eux se détachent largement Morning Glory, Neighb'rhood Childr'n, The Yankee Dollar, The Growing Concern et arrêtons-nous là. 

Logique pour Fairport Convention de calquer ce modèle de chant, d’autant qu’ils ne sont pas nombreux à le faire en Grande-Bretagne, surtout de cette façon. Ce sont sans doute étrangement les deux premiers albums de Fairport qui soutiennent le mieux la comparaison avec leur homologue californien, non en termes de qualités – elles ne sont pas moindres s’agissant de la formation londonienne – mais d’un strict point de vue conceptuel. Fairport Convention et What We Did On Our Holidays prolongent, avec d’autres aspects, d’autres origines, encore que, le magnétisme des trois premiers disques de l’Airplane. Comme eux, Fairport aura changé de chanteuse en cours de route. Judy Dyble aura été la Signe Anderson de Fairport et Grace Slick la Sandy Denny de l’Airplane. De la même manière, si le groupe de San Francisco compte un chanteur, Marty Balin, et deux guitarises dont un autre chanteur, Jorma Kaukonen et Paul Kantner, Fairport peut compter sur Ian Matthews, Simon Nicol et Richard Thompson. Esthétiquement, ces deux disques charment et sans doute plus le premier pour leurs influences, pas seulement traditionnelles, mais tout à la fois jazz et pop, avec cette once flavescente des pionniers de l’Ouest. Citons I Don't Know Where I StandDecameron, le duo Sun Shade/ The Lobster. Quoi d’étonnant puisque Fairport, qui commence tout juste à composer, puise aussi dans le répertoire classique avec Dylan, bien sûr,  et "californien" avec Joni Mitchell qui leur offre deux chansons. Richard Thompson coécrit entre autres DecameronSun Shade et The Lobster qui sont les grands moments airplaniens de cet album. Sur What We Did On Our HolidaysBook Song tout comme Eastern Rain ou leur tube, Meet On The Ledge, emprunte au romantisme san franciscain du jeune Jefferson Airplane. 

Car c’est bien là leur vrai point commun. Fairport comme l’Airplane sont à leurs débuts –Fairport a su le rester – deux groupes au raffinement et à l’élégance affirmée, certes plus débridée, parfois débraillée s’agissant de Jefferson (on pense à After Bathing At Baxter's), mais sans faux pas. La fluidité des guitares est un marqueur de leurs disques et même si Fairport a ajouté par la suite le violon à son instrumentarium, des morceaux comme Genesis HallAutopsy et A Sailor's Life ou encore Who Knows Where The Time Goes? ont les accents des folk songs de la Baie, à la fois mélancoliques et droguées. Nous n’irons pas jusqu’à dire que Fairport Convention s’apparente à un groupe psychédélique, il n’emprunte d’ailleurs au genre qu’un timide sitar sur le final de Book Song et enrubanne Eastern Rain de brumes san franciscaines. Travail délicat et pointilliste qui évite au groupe de rester à la remorque des autres, d’être comme on dit dans l’air du temps. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les deux premiers Fairport ont été enregistrés en novembre 1967 pour l’un, fin 68 pour l’autre. Si Liege & Lief incarne l’acmé de Fairport Convention, c’est l’album qui se libère le plus du joug de l’Airplane même si Matty Groves poursuit les explorations sonores étalées dans la durée, très en vogue en cette fin de décennie soixante. Il n’en demeure pas moins leur dernier chef-d’œuvre, un album d’une beauté sidérante dont certaines chansons comme Farewell, Farewell ou Crazy Man Michael vous hanteront à jamais. À l’instar de She Has Funny CarsTodayEmbryonic JourneyMarthaRejoyce et Won't You Try/Saturday Afternoon, elles sont restées comme un instantané d’une paire d’années électriques et insouciantes, à l’euphorie inquiétante quand on y pense. 

Faiport Convention, Faiport Convention (Polydor)

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*Quiconque ose nous comparer au Jefferson Airplane sera bombardé de mauvais harengs.

 

 

 


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