Love, à revendre !

par Adehoum Arbane  le 23.07.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

L’arbre qui cache la forêt, on connaît. Mais la forêt qui cache l’arbre ? S’agissant de Love, la forêt représente la floraison d’albums entre 1967 et 1969, soit Da CapoForever Changes et dans une moindre mesure Four Sail, qui possède encore quelques réminiscences des précédents, et Out Here. Où se situe l’arbre chez nos brillants californiens dégingandés ? L’arbre c’est ce premier album sobrement intitulé Love. Plusieurs choses à dire sur ce jeune séquoia à quatorze branches. Il y a beaucoup à dire en fait, et plus qu’on ne l’imagine. D’abord, le contexte. C’est un album du début non pas dans le sens chef-d’œuvre comme l’étaient le premier Doors ou le premier Country Joe & The Fish. Love n’est absolument pas totémique. Il sort alors que le groupe se rode déjà sur scène locale dès le mois d’avril 1965 et quelques mois avant l’iconique Fifth Dimension des Byrds, les Byrds qui possèdent déjà une solide réputation discographique grâce à leur reprise du Mr. Tambourine Man de Dylan et de Turn ! Turn !Turn ! de Pete Seeger. Les Byrds s’apparentent à des magiciens qui transforment alors l’argent folk en or pop. 

Janvier 66. Love entre en studio après avoir signé un contrat avec Elektra qui flaire le bon filon. Car le groupe coche en effet pas mal de cases dans le cahier des charges de la pop moderne (merci les Beatles). Bien avant l’Experience ou Sly & The Family Stone, Love associe musiciens afro-américains et blancs. Leur leader Artur Lee détonne dans le paysage pop, visage métissé d’une rare beauté, élégance beatnik maîtrisée. Et surtout, il écrit. D’ailleurs, le groupe compte au moins trois singers-songwriters : Lee, Bryan MacLean et John Echols. L’album dont il est question ici ne propose que deux reprises dont nous parlerons plus bas. La pochette dit beaucoup du groupe au moment où il s’apprête à graver ce premier essai. Le lieu que le groupe choisit pour la photo qui illustrera leur pochette est le même que sur Da Capo, mais de quelle maison s’agit-il ? Le château de Bela Lugosi ? Il donna son nom à The Castle sur le second LP de Love. La maison de Harry Houdini, appelée Houdini Estate ? La cheminée a disparu et le mythe a continué de vivre. Le fait est que la pochette plus conceptuelle de Da Capo, photo quasi identique dans un cadre baroque, est à l’image de la musique qu’on y trouve, pleine de clavecins et de flûtes. 

Mais revenons à ce premier effort, le terme étant bien choisi. Nous l’avons dit, Love sort en pleine vague Byrds, qui semble ici l’inspirer, mais propose douze compositions originales sur quatorze titres. Bien que rudimentaire en termes de production au regard des futurs classiques, Love sonne de façon pure et parfaite, étincelant dans sa restitution. Bruce Botnick est aux commandes. Et on s’en rend d’autant plus compte avec My Little Red Book, reprise de Burt Bacharach et Hal David. Dès le riff de guitare et la basse en bourdon, on perçoit la singularité présente et future de Love. Pas totalement psychédélique, My Little Red Book fort de son nouveau traitement fait plus que séduire, la chanson hypnotise. Première composition signée Lee et Echols, Can't Explain montre déjà à quel point le groupe compte de talents en matière d’écriture. Mais c’est encore sur les balades qui sont légion dans ce disque que Love se distingue en général et de la concurrence, souvent réduite au statut de copiste – hormis les Byrds bien entendu. A Message To Pretty en est le premier sommet, et la voix suave de Lee y est pour beaucoup. My Flash On You reste sans doute la chanson la moins originale de cette face A, trop proche dans l’esprit du Hey Joe que le groupe réinterprète, sans égaler la version certes indépassable de Hendrix. Bam, Softly To Me explose de douceur, c’est le second chef-d’œuvre à mi-chemin de cette face A, composé et chanté par Bryan MacLean. On est en 1966 et Love est capable de sortir ce genre de morceau totalement hybride, entre soul et proto-psychédélisme, le mix parfait et si audacieux pour l’époque. No Matter What You Do lui fait suite avec un refrain parfait dans l’émotion, tiens l’émotion, c’est bien le sentiment qui nous saisit à la toute fin de face en un instrumental cataleptique, boléro idéal pour ces aurores sud-californiennes que le désert réserve aux initiés. 

Face B, efficacité maximale avec You I'll Be Following et son refrain addictif. Gazing et Hey Joe enchaînés avec moins de génie mais en conservant l’énergie primaire du groupe, et préparant la suite, parfaitement en demi-teinte. Signed D.C.d’abord. Ballade acoustique anti-drogue que Love rejouera en 69, sur Out Here. Sur Signed D.C., Lee arrive à faire du Jagger en mieux, du Brian Jones sobre et puissant, il est au-delà, au-dessus, mieux que Dylan si ce dernier avait voulu toucher le rêve californien. Signed D.C. n’est finalement pas si loin des chansons les plus crépusculaires des Mamas & Papas, ce qui est bien un compliment. Coloured Balls Falling est un mid-tempo lymphatique mais émouvant, mais Mushroom Clouds lui est encore supérieur, subtilement écrit, interprété et harmonisé, il s’agit sans doute de la plus belle et douce évocation de l’apocalypse nucléaire. Quant aux paroles, simples, elles touchent en plein cœur ! Le groupe referme ce premier essai avec And More, bien dans l’esprit de Coloured Balls Falling. Mais cette ultime chanson lui est peut-être encore supérieure par son écriture, son refrain iconique, et son pont ascendant, Lee et MacLean à l’unisson de la composition. 

Comme en amour, et Love en connaît long sur le sujet, il ne faut pas remiser les premières tentatives dans les tiroirs de la mémoire. Elles demeurent bien souvent maladroites, pour certaines, mais si sincères. Malgré les déboires, les addictions, les egos aussi, Love fut un groupe sincère en tout, égal en rien. Ils évoluèrent au gré des disques, tentèrent de s’éloigner de la concurrence et il n’y a au fond que le West Coast Pop Art Experimental Band qui pourrait lui ressembler dans ce désir d’innover sans se soucier du succès. Chez Love, il y a une forme de sabordage, mais les vaisseaux furent à chaque fois fiers, fringants, solides, toutes voiles dehors, gonflés par les vents de la créativité qui soufflèrent abondamment en cette fin de décennie sixties. 

Love, Love (Elektra)

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https://www.youtube.com/watch?v=ZGDRRWKv-ms

 

 

 

 

 


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