Du Rocabois dont on fait les hommes

par Adehoum Arbane  le 02.07.2024  dans la catégorie A new disque in town

Comment parler au plus juste d'un artiste ? Sans le décevoir ou le trahir. Sans tomber dans les poncifs critiques ? Que la chose est délicate. Comment aborder Olivier Rocabois ? Par quel bout si l’on ose dire, tant le bonhomme est un sacré morceau, dans tous les sens du terme. Un monstre d’énergie et de générosité pour presque paraphraser Morrison, tantôt drôle, tantôt mélancolique, parfois les deux. Alors, pour une fois, nous n’allons pas comparer un artiste à un autre, plus ancien, ou à un album, ses chansons. Mais à un titre. Un titre, ça peut résumer les choses, faire passer en très peu de mots un million d’émotions, d’images. Disons qu’Olivier Rocabois c’est un peu Cowboy in Sweden. Attention, ne prenez pas l’image au premier degré. La musique d’Olivier n’est pas celle de Lee. Rocabois est définitivement britannique, Grand Breton à la base. 

Cowboy in Sweden. Ces deux mots définissent aussi bien l’homme que sa musique. Rocabois est un peu une sorte de cowboy cabossé qui chevauche vers le couchant – traduction possible de The Afternoon of our lives ? Ainsi apparaît-il sur scène par exemple, cheveux légèrement longs, flottants, pattes broussailleuses masquant des histoires qui finiront peut-être en chansons, fine moustache en U inversé, chemise débraillée, comme s’il venait de sortir d’un duel au soleil. Ce côté buriné par la vie, Rocabois l’assume d’ailleurs à cœur ouvert. Il n’a pas peur de dire et de rire de son existence, des disputes, des moments où l’on se sent au fond du trou, « rock bottom » écriraient certains. Philosophe, il avoue que ces tensions font naître la créativité par ricochet sur le lac placide de l’inspiration. Et la Suède alors ? On peut y voir pas mal de symboles. Le pays où la lumière va et vient. C’est cette lumière-là qui semble baigner les chansons de ce nouveau disque. L’humeur de leur auteur suit ainsi le cours des saisons nordiques, à la fois joyeuses (exalté chez Rocabois) et mélancoliques (son côté penseur taciturne). Pour rester dans les clichés, assumons-les, la Suède est aussi à l’équilibre entre folklore, tradition rustique et sophistication, c’est aussi un pays d’ouverture et Dieu sait qu’il en faut quand on décide de faire de la pop son métier, mieux, son artisanat. 

Après avoir abordé Rocabois, l’homme, comment procéder pour Afternoon of our lives, son nouvel album ? Faut-il rester en surface, à bonne distance, ou entrer dans l’intimité de l’œuvre ? Observons les chansons avec recul. Contrairement à ce qui avait été annoncé, face A et face B sont au fond d’une infinie cohérence. Un seul morceau plus long que les autres en seconde partie pourrait nous faire croire à l’antagonisme, et pourtant l’équilibre est miraculeux. On retrouve comme dans son précédent album, Olivier Rocabois Goes Too Far, le même souci de l’écriture et du façonnage mais à un degré supérieur. Ces onze nouvelles chansons nous apparaissent alambiquées. De l’aveu même de leur créateur, il les conçoit ainsi tout en s’efforçant de les simplifier ! Incapable d’écrire sur le modèle antique du couplet-refrain, Rocabois assume et décide de faire de chaque chanson un laboratoire où se mêlent, voire s’entrechoquent pour certaines, cahier des charges pop et délires désinhibés. Mais le faste n’est qu’une coquetterie masquant fort joliment la pudeur du bonhomme. On l’entend partout, paroles et musiques, les chansons de Rocabois ont l’humour du désespoir, la joie pour contrer la folie. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard s’il commence le disque avec son groupe, admirable en vérité, et le poursuit seul aux commandes, en démiurge irresponsable. Mais là encore, si la mer est agitée, les vagues sillonnent harmonieusement. Sans doute parce que la maturité guide l’inspiration, la prenant par la main. Le titre s’avère éclairant. Avec The Afternoon of our Lives sonnant comme un bon vieux Moody Blues, l’heure est grave. Mais la gravité n’est-elle pas une loi s’autorisant la légèreté ? Et chez Rocabois, ce constat devient axiome. Jamais plombante, la musique s’envole, trouve au passage des accents funky – comme on ne citera aucune chanson, on vous laisse deviner laquelle. On pourrait croire que ce maëlstrom entre rock, pop et symphonie de poche ne prendrait pas et que la sauce paraîtrait amère. Mais non, l’ouvrage est un tremplin perpétuel et Rocabois serait notre Saint-Ex’ dans le biplan d’une pop française, chantée à contre-courant des molles tendances, c’est-à-dire en anglais. 

Dérogeons à la règle que nous nous sommes fixée. Citons une chanson, enfin une suite de chansons, Prologue/Trippin’ on Memory Lane. C’est là où ce fou volant prend le plus de risques, faisant tourbillonner les idées, enchaînant les vrilles musicales, notamment avec ce sitar enrubannant la voix du maître qui se George-Harrisonise sous nos yeux ébahis – nos yeux, oui, pour l’avoir constaté sur scène. Les dernières minutes se finissent presque sur des accents plus acoustiques, commentaire trompeur car chez Rocabois, l’effet de surprise est permanent tant ce dernier s’avère sans doute une surprise pour lui-même. C’est le principe de la création que de s’étonner soi-même, comme un enfant découvrant ses capacités. En attendant de les voir grandir sur un prochain album. Un double, un triple qui sait ? Tout est possible. Nous ne sommes qu’à l’après-midi de sa discographie. 

Olivier Rocabois, The Afternoon of our Lives (December Square – Kuroneko)

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https://allif.bandcamp.com/album/the-afternoon-of-our-lives-lp

Photo : Nicolas Pinault

 

 

 


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