La pop sixties aurait pu être un ornement qui prend la poussière. Ce que l’on entend par pop sixties, c’est le sens du baroque, de l’harmonie, la superposition des chœurs comme chez les Beach Boys, les idées, la fantaisie, ce concept ô combien britannique. Eh bien non, celle-ci revit – et nous pesons nos mots – de la plus fringante des manières depuis quelques années et, paradoxalement, de l’autre côté de l’Atlantique. Aux USA. 2016 voit la sortie d’un premier album d’un tout jeune groupe de frangins, les bien nommés Lemon Twigs. En plus, ils ont le toupet de balancer deux tubes imparables, These Words et As Long As We're Together. Depuis, ces deux-là tracent leur petit bonhomme de chemin, délivrant à rythme régulier un nouveau disque. Cinq en huit ans. Sans compter un EP qui a tout l’air d’un mini-album et un live officiel, comme leurs aînés Stones, Who etc.
Bref, les Lemon Twigs, malgré leur jeunesse, ont du métier. Ils sont de plus nantis d’une solide culture générale pop et ont la politesse de ne pas se présenter comme l’ultime incarnation du revivalisme. Cools, ils sont aussi de leur temps. Iconique sans être beaux – ce n’est pas la même chose –, ils ne ressemblent pas à un tract d’université américaine ou à des influenceurs TikTokés. Eux aussi pensent que le monde actuel, s’il semble peu engageant, exige une forme de beauté et c’est là que la splendeur lancinante de nos sixties trépassées nous revient en pleine face, l’énergie rock en plus. Énergie que My Golden Years se charge de théoriser et de propager. L’entame du morceau ressemble à s’y méprendre au générique d’un sitcom, celui de notre adolescence passée. Et pourtant jamais l’accusation de pastiche ne surgit, toujours les Twigs font ce qu’ils sont et sont ce qu’ils font. C’est peu dire qu’ils sont parvenus à digérer l’héritage pour en faire leur musique, leurs albums, leurs chansons. Si They Don't Know How To Fall In Place démarre sur une note de clavier qu’on pourrait croire empruntée à un groupe soul des seventies, la suite leur appartient. Les voix, une certaine façon d’harmoniser, pose immédiatement une identité. Autre truc – trick, au sens d’astuce – qui les définit maintenant, la sentimentalité. Ces deux axes, action/émotion équilibrent ce cinquième album. Et même dans les morceaux enjoués, les lois du cœur sont toujours convoquées comme dans Church Bells. A Dream Is All I Know pousse le vice émotionnel encore plus loin, avec son motif de clavier en intro, rundgrenien en diable. Mais c’est leur talent de compositeurs qui les libère immédiatement du piège de la référence. Sweet Vibration s’avère un parfait résumé de l’intention initiale, celui donc d’un enthousiasme incarné, sincère, reflet des états d’âme. La face A se referme sur une ballade dans la grande tradition mid-sixties, In The Eyes Of The Girl, avec ses chœurs à la Platters. Un orgue qui pourrait être un Moog vient travestir cet ensemble magnifiquement créé par nos deux faussaires. Des faussaires qui sont devenus entretemps des maîtres, un comble. Car encore une fois, il faut des trésors d’écriture pour donner à une chanson produite dans les canons d’une époque son sésame pour la modernité… et l’éternité.
La face B démarre dans l’électricité byrdsienne de If You And I Are Not Wise, les Byrds de 67-68, mais ce sont bien les Twigs qui parlent ici. Et de façon tonitruante sur le virevoltant How Can I Love Her More? dont le refrain en ferait bien l’hymne définitif de cet album. Il s’inscrit dans la tradition des power-ballads que le groupe honore depuis ses débuts, comme avec Home of a Heart (The Woods) et What Happens To A Heart. Deux minutes et quarante-huit secondes ébouriffantes, hypercréatives, mais comment peut-on encore proposer de telles merveilles aujourd’hui, dans une production musicale atone où le plus petit Taylor Swift fait figure de chef-d’œuvre sans qu’au verdict l’avocat de la défense du bon goût ne puisse opposer le moindre argument. L’honneur est sauf, ce sont les Lemon Twigs qui s’en chargent et ils choisissent le miel pour adoucir les mœurs : prenez le doucereux Ember Days. Peppermint Roses qui se pare d’épines pré-psychédéliques, garage disait-on entre 1966 et 1967, s’engage sur un chemin de traverse esthétique sans perdre en pouvoir et en inventivité. I Should've Known Right From The Start remet la face B dans les clous de son disque, mais en choisissant la manière torve, l’ambivalence des pensées les plus profondes. Sur ce morceau, les Twigs offrent un versant plus "sombre" de leur art, mais pas moins splendide. Ce mirifique A Dream Is All We Know se referme sur le T-Rexien Rock On (Over and Over).
Ce qui nous faire dire ceci. Dans le concert des louanges, dans le grand déballage des citations, oublions celles mentionnées au-dessus, laissons de côté les autres pour n’en garder qu’une. Mais la bonne. Dans l’esprit – et on ne parle pas d’esthétique, de musique –, les Lemon Twigs sont un peu les Who des années 66-68 (voire 69). Ils débordent littéralement de tout. Leur musique éclabousse, bouscule, réveille. Les frères D’Addario sont Keith Moon, Roger Daltrey, John Entwistle et Pete Twonshend à eux deux. Ils ont synthétisé les qualités de chacun. Du premier, ils ont pris la folie et l’imprévisibilité, au second ils ont emprunté le charisme, du troisième ils ont extrait le romantisme et du dernier, le génie et la vision créatrice. À la différence qu’ils ne sont pas près de se sacrifier sur l’autel de ce crédo : mourir avant de vieillir.
The Lemon Twigs, A Dream Is All We Know (Captured Tracks)
https://www.deezer.com/fr/album/538103782
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