Corridor au sens littéral du terme. Un passage fermé desservant des espaces différents. Des musiciens de Montréal ont décidé d’en faire leur patronyme voilà quatorze ans. Étonnamment, au fil de leurs quatre albums et quatre EPs, leur musique ne semble pas aussi labyrinthique que leur nom le laisserait supposer. Et leur tout dernier disque en cinq ans, le plus court à ce jour (8 titres seulement), ne déroge pas à la règle. Mimi prolonge un continuum esthétique avec Junior, sorti en 2019. Les deux LP avaient été publiés sous l’étendard Sub Pop. Mais que nous dit ce Mimi, avec sa grosse tête de chat obèse dont le dessin au trait sec remplit toute la pochette ?
Mimi est à lui tout seul un corridor. Qui ne fait pas que mener à chacune des huit chansons. C’est un corridor pensé comme un tunnel. Quand on y entre, on quitte un monde, quand on en sort, on en découvre un autre. Ces deux mondes séparés par ce couloir sonique peuvent être définis à l’envi, dans une forme de liberté malléable qui est celle dont usent d’ailleurs les quatre musiciens dont Jonathan Robert et Dominic Berthiaume sont les têtes pensantes. Il y a la sortie de crise de la pandémie qui barre le chemin de Corridor, fermant la porte à une exposition plus large, celle des festivals, des scènes européennes. Jonathan Robert devient père, la normalité banale de l’existence semble un anesthésiant profond à tout projet d’album, et pourtant. Et pourtant, les musiciens se mettent au travail, répètent dans leur studio, notent des bouts d’idées et vont même jusqu’à louer un chalet pour y puiser inspiration et énergie. Ce labeur où chaque motif collé donnera une chanson accouche de ce chat étrange, au regard éteint, mais si réconfortant qu’on souhaite s’y lover.
Les huit morceaux de Mimi s’enchaîne dans une formidable fuite en avant, mêlant la force du post-rock de Neu! et la lisibilité pop. Pour en revenir à la métaphore du corridor, des deux lieux qui en constituent les opposés, nous pouvons dire ceci. La musique de Corridor, intense, limpide, vibrante, foisonnante même, semble avoir été conçue pour conjurer la laideur. Pas seulement celle du monde dont l’actualité navrante est l’incarnation. Mais la laideur musicale qui s’étale si facilement comme une confiture industrielle, lisse, trop sucrée, sans nuances. Laideur des musiques urbaines, imbéciles et autotunées, laideur des groupes non-binaires à l’excès, laideur de tout. Mais attention, aucune envie de parler de décadence, de sombrer dans une atonie confortable, de crier son mal-être, de rêver à un âge d’or pop. Corridor nous renvoie à ce constat parce que le groupe se sert précisément de la beauté pour nourrir son propos, pour donner du sens à ses mots, en français au passage. Mais ils ne le font pas en surplomb. Jamais ils ne mettent le texte au premier plan. Les paroles sont pensées comme une ligne instrumentale parmi d’autres et c’est aussi pour ça qu’on ressent la force de ces chansons en un bloc compact ; celui-ci n’empêche nullement les idées, les bidouillages électroniques, de s’insinuer. Des deux faces, parmi un ensemble cohérent et excellent, on retiendra le sautillant Jump Cut et le splendide Mourir Demain, avant-dernière chanson d’une puissance rare de nos jours. Le reste est à l’avenant. Mon Argent, Chenil, Porte Ouverte,pour n’évoquer que ces chansons.
Sur Mimi, le groupe réalise le tour de force de ne jamais lasser, pire, nous ennuyer. Que l’on passe d’un sentiment à l’autre, la musique ne varie jamais en intensité, en beauté, en complexité sans paraître pompeuse. Corridor a pour lui le talent et un vrai savoir-faire. Il a surtout été produit dans ses jeunes années par l’ami de toujours Emmanuel Éthier. On retrouve ce dernier dans les projets les plus enthousiasmants de la scène montréalaise des années 2010-2020. La précision de sa production, son tropisme pop offre les couleurs aux albums auxquels il collabore de façon active, quasi immersive. Ainsi participe-t-il au processus créatif de Corridor et de Jonathan Robert qui a déjà livré trois disques sous le sobriquet de Jonathan Personne.
Jadis, on se moquait gentiment des chanteuses et chanteurs québécois sans savoir qu’à Montréal comme ailleurs, on trouvait la crème des musiciens, autrefois beaux hippies prog (Beau Dommage), aujourd’hui rockeurs mélancoliques comme Corridor. Aux chansons de chœurs et d’or.
Corridor, Mimi (Sub Pop)
https://corridormtl.bandcamp.com/album/mimi
Photo : Dominic Berthiaume
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