Affinity time

par Adehoum Arbane  le 21.05.2024  dans la catégorie C'était mieux avant

Non, les Britanniques ne sont pas tous des John Steed ou des John Drake. Derrière le flegme légendaire de ce peuple à nul autre pareil, surgit par moments, bien souvent, une manière d’être ou de ne pas être justement, une excentricité folle et qui aura donné le meilleur de la pop culture dans ses grandes œuvres. Ce n’est pas tant le style en vogue dans le Carnaby Street des sixties qui nous intéresse ici, encore moins le look hippie baba cool relevant du cliché. C’est un souffle venu d’ailleurs. On pourrait croire qu’il provient des États-Unis en une tornade dévastatrice. Car en cette année 68 où les pavés volent, où les révolutions se font jour, l’Amérique découvre un nouveau son, un de plus, au milieu des falbalas psychédéliques, un son (chauffé à) blanc. C’est celui du Chicago Transit Authority, tout de cuivres dévêtu, débraillé comme à Jéricho. 

En Angleterre, cet effet papillon au combien tellurique va provoquer quelques beaux remous. Affinity en fait partie. Jeune formation signée par le label Vertigo, comme un signe des temps déchaînés, Affinity est composé de la chanteuse Lynda Hoyle, de l’organiste Lynton Naiff, du guitariste Mike Jopp, noyau dur complété de Mo Foster à la basse et de Grant Serpell à la batterie. Malgré des enregistrements de-ci, de-là, ils n’auront sorti ensemble qu’un seul album, mais quel album ! Le tout produit par Ronnie Scott, l’un des parrains de la scène jazz anglaise. Car leur musique s’avère un savant amalgame de jazz, de rhythm’n’blues, de pop et de percées progressives. L’attelage pourrait sembler suspect, mais la mixture fonctionne. Pour s’en convaincre, il convient de commencer par le début, I Am And So Are You, chanson écrite par l’irremplaçable Alan Hull de Lindisfarne, mélodie simple mais ici transcendée par les cuivres gras qui accompagnent le groupe, sous le haut patronage de l’arrangeur John Paul Jones. Équation idéale pour un résultat parfait qui ne laisse augurer aucun temps mort. En effet, Night Flight qui lui succède, emporte la délicate entame dans un maelstrom d’orgue vrombissant avant d’en revenir au thème d’une redoutable efficacité. Après cette course-poursuite dans la lignée du meilleur Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity, dont Affinity n’est jamais la pâle copie, notre groupe offre un reposant I Wonder If I'll Care As Much, écrit par les Everly Brothers, et réarrangé par le même Jones qui a le bon goût d’y adjoindre un sémillant clavecin. Les quelques effets de mixage doucement psychédéliques ne détournent par cette très belle reprise de son élégant chemin. Dans le même esprit de calme avant la seconde tempête, Mr. Joy montre une formation aussi à l’aise dans le rock dur en vigueur et le jazz atmosphérique. Merci à Annette Peacock d’avoir prêté sa remarquable composition. 

Face A terminée, la face B démarre en trombe avec Three Sisters qui renoue avec les roucoulements virils et soul de I Am And So Are You. Mais ici, la chanson, coécrite par la chanteuse et l’organiste, ne dépare pas face à la concurrence. À l’époque, nombreux sont les groupes à puiser dans le répertoire des autres pour se hisser sur scène puis, après, avoir la chance de produire un disque. Affinity sut se démarquer, proposant des musiciens plus que compétents qui savaient transfigurer le matériau initial, comme vous le lirez plus bas. Three Sisters est aussi l’occasion de laisser une vraie place à l’excellent guitariste du groupe qui, sans esbroufe, tisse un remarquable solo. Quintette de goût, Affinity poursuit son exploration des classiques en réinterprétant Coconut Grove, chanson des Lovin’ Spoonful. L’originale était déjà sublime, aérienne, Affinity en donne une version ad hoc, merveilleusement enveloppée par le timbre chaud et cristallin de Linda Hoyle. Le groupe referme son unique LP sur All Along The Watchtower qui n’a pas à rougir face la relecture hendrixienne. La version CD de l’album propose en bonus son single Eli's Coming, composition de Laura Nyro qui profite ici d’un arrangement haute couture. 

L’ensemble est hautement recommandable, d’autant qu’il est livré dans une sublime pochette solarisée finalement fort peu annonciatrice du contenu. Et c’est tant mieux ! Linda Hoyle aura la chance de connaître une modeste carrière solo puisqu’elle enregistrera un album en 1971, toujours chez Vertigo, accompagnée par Karl Jenkins de Soft Machine qui lui apportera, en plus de son jeu, quelques compositions. S’il tire parfois vers le blues, Pieces of Me offre de beaux moments comme Paper tulipsFor my darling, Lonely womenThe Ballad of Marty Mole, Journey's end et Morning for one.Restent quelques belles rééditions, témoignant de toute la vitalité d’un pays, d’une époque servie par des musiciens inspirés, bien loin de la pauvreté musicale contemporaine. En 1970 pour ne citer que cette date, les musiques urbaines, si elles n’étaient pas nommées ainsi, incarnaient une exigence et une ambition réelles. Dont acte. Sans tact. 

Affinity, Affinity (Vertigo) 

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