« I am a musician, not a museum. » Cette citation de Robert Wyatt que l’on pourrait malicieusement traduire par « Je suis un musicien, non un musée-homme » nous enseigne la dure réalité des groupes contemporains dans leur tentative d’exister en s’inscrivant dans le sillon de la pop antique sans pour autant la singer, mieux, en parvenant à en renouveler le langage. Et lorsque c’est le cas, de se confronter à la difficulté de se renouveler soi-même, du moins de poursuivre un chemin qui ne soit pas bâti dans la molle répétition des formules qui ont marché. Au moins, on peut épargner à MGMT ce procès d’intention. Voilà bien une formation qui a su éviter la linéarité dans sa carrière, après le succès planétaire de Oracular Spectacular. C’est peu dire qu’il n’aura rien fait comme tout le monde, c’est-à-dire les autres.
Se distinguer certes, mais en restant fidèle à son credo. L’écriture pop. MGMT aura constamment respecté son contrat, même dans ses projets les plus radicaux. Seul reproche à leur faire, la trop longue attente entre chaque nouveau disque. Du moins celle-ci aura sans doute détourné l’attention des fans et de la critique. En 2024, MGMT a grandi et ce faisant, la pression est retombée. La ferveur, voire l’idolâtrie d’un côté, le vœu de devenir des rock stars de l’autre, ont été remplacés par la sagesse. MGMT va donc continuer son bonhomme de chemin avec la même irrégularité – d’inspiration et de calendrier – et c’est sans doute heureux. Tant et si bien – ou mal – que personne ne semble attendre quoi que ce soit du duo de Middletown. Erreur ! Labyrinthique à plus d’un titre, Loss of Life nous apparaît ainsi, dans ses plus beaux habits. Dit comme ça, on est encore loin de la vérité. En plus d’être des mélodistes accomplis, nos deux amis de (plus de) vingt ans, fourmillent d’idées. Au petit jeu des références, on pourrait s’égarer, se compromettre ou se fourvoyer. Mais l’on peut dire sans trop exagérer que Loss of Life ressemble à maints égards à A Wizard… A True Star. En moins usant, il faut tout de même le dire. On retrouve les mêmes scintillements, un sens identique du rebond, de la surprise et en dix chansons seulement. MGMT a toujours procédé ainsi. Des disques à taille humaine mais qui révèlent bien des aspects de leur psyché, nous n’entendons pas par-là psychédélisme, mais bien leur âme, leur esprit. Il y a des sommets et des creux heureux dans ces montagnes russes que forme Loss of Life. Déjà l’idée maligne de ce morceau éponyme, scindé en deux parties, et dont la seconde, bref instrumental, ouvre le disque. Manière de se réserver pour plus tard, mieux, de laisser entendre qu'apothéose il y aura.
Entre ces deux magnifiques parenthèses, huit chansons largement au niveau, voire au-dessus de la concurrence, laissée à terre par ce knock-out mélodique. Abordons les quatre morceaux que le groupe nous envoya en éclaireur. Mother nature a beau loucher du côté d’Oasis par son côté stadium, elle a tout de la chanson signature, à commencer par la voix inaltérée, enfantine d'Andrew. Si Bubblegum dog séduit en un flash et que Nothing to declare apparaît comme le (faux) sommet du disque, c’est sans doute Dancing in Babylon qui séduit le moins, son invitée expliquant cela. Malgré tout, la chanson flatte l’auditeur et aurait été un hit énorme si elle avait été produite par une Bonnie Tyler au plus fort des années 80. Non, les deux acmés, chacune répartie sur une face, se retrouvent là où on les attend le moins. Dans un morceau long, lent, c’est-à-dire dégagé de sa juvénilité pop. People in the streets est l’une des deux pyramides du disque, grande chanson triste et simple, simplement triste et dont le refrain finit par vous hanter. Comme si le groupe avait été tenté d’écrire son Bridge over trouble water à lui. Démarrant sur des arpèges de guitare acoustique enrobés d’une basse moelleuse, le couplet d’apparence banal gagne en profondeur pour déboucher sur le refrain impérial, comme souvent chez MGMT. Dans cette chanson, il y a du Prince, du Hendrix, du Rundgren et surtout beaucoup de MGMT, une forme d’évidence qui fait qu’à la fin, tout se met en place, tout fonctionne. On sait que le groupe envisage souvent la production comme un processus besogneux. Confectionner une chanson, puis une autre et enfin tout un album n’est pas chose aisée, encore moins un acte naturel. Pas tant parce qu’à chaque instant le doute s’insinue, menaçant la confiance des créateurs, mais parce que cela relève de l’usinage permanent, répété. Mais jamais chez MGMT la musique ne semble désincarnée. Non seulement les idées ont du sens, mais l’émotion survient à chaque fois comme avec ce solo de guitare en final de People in the streetsque beaucoup de commentateurs ont moqué. Ils ont eu tort.
Le deuxième titre qui serait le morceau jumeau de People in the streets existe ; il porte un nom iconique pour une chanson : Nothing changes. Déjà l’idée de la continuité avec Nothing to declare, même préfixe mais résultat opposé, loin de la lumineuse sunshine pop. Nothing changes débute sur un trémolo de guitare électrique doublant la piste acoustique. La batterie pesante, les chœurs et les textes concourent à en faire un classique, l’élégance en plus quand le groupe trouve cette formule « It was time to stop pretending ». L’échappée à la trompette forme un trait d’union inattendu vers le pont et le final du morceau, grandiose et baroque à souhait ! Phradie's song qui lui succède sonne plus éthéré, moins intéressant. Il donne cependant l’occasion au groupe de nous offrir une ballade de plus. I wish I was joking constitue une pause soul comme si de rien n’était, et ça marche. Car le groupe a l’idée de remettre du synthétisme dans le genre. Il MGMTise un titre qui aurait pu être du Curtis Mayfield.
Loss of Life qui conclut le disque dérape, comme une ultime glissade dans la voix lactée. Sortie de route galactique qui ne prétend rien, surtout s’il on doutait encore de l’importance de MGMT. À l’heure des tourbillonnants réseaux sociaux, MGMT manage une carrière peu prolixe mais droite, en bons pères de famille, le sont-ils ? Peu nous importe. Sans trop le dire, ils ont imposé leur leadership. Et l’on s’en rend compte avec cette dernière livraison peu dans les temps mais impeccable à maints égards.
MGMT, Loss of Life (Mom+Pop Records)
https://www.deezer.com/fr/album/549643892
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