Et si tout était dit dans l’une de leurs neuf chansons inédites, S'éloigner quand même ? Le groupe s’appelle Aline, prénom rohmerien d’un amour d’été qui s’éloigne donc, façon pudique de ne pas dire amour perdu. Car la question se pose. Il fallait la poser d’ailleurs. Lorsque l’on vieillit – et c’est bien naturel – peut-on continuer à chanter les passions adolescentes, quand bien même Aline l’aura fait avec un talent certain, voire avec fulgurance. Pour écrire Je bois et puis je danse, il fallait de la vista tant cette chanson, douze ans après sa création, sonne encore comme un hit saillant, insouciant mais bien réel. Aline alias Romain Guerret, Arnaud Pilard, Romain Leiris, Vincent Pedretti, Laurent Maudoux puis Jérémy Monteiro auront réalisé cela. Et ce n’est pas rien dans un pays comme la France où la pop n’est pas chose aisée. Ils auront installé, tranquilles, un répertoire en un, deux et maintenant trois albums, La lune sera bleue.
La lune sera bleue au futur alors que ce faux album aux vrais inédits rend hommage au passé du groupe. Fichtre, il avait secrètement conservé de telles chansons ! Derrière les diamants taillés et gravés, il y avait encore des pépites. Métaphore chercheuse, pionnière qui nous permet de revenir au propos liminaire qui ne se veut pas un jugement lapidaire. Il ne s’agit pas de faire de l’âgisme pour reprendre le verbiage contemporain, de dire ciao à des seniors. L’occasion est plus une réflexion. Et pour le dire autrement, avec des mots plus flatteurs – car le groupe le mérite –, Aline est un âge d’or. La rivière aura été profonde, féconde même. Le flot de leur musique comme une source vive aura jailli dans nos vies de fans, avec quelle joie, quel bonheur quand bien même certaines de ces chansons parlent de filles brisant les cœurs. Dans cette ultime livraison, mélancolique clause de revoyure, il y a deux reprises (l’incontournable Daho, la bombe B.B.), deux instrumentaux (le splendide La rivière est profonde et Acier géant) qui ne sont en rien des morceaux de remplissage. Même dans l’art de la reprise, Aline s’impose comme des McEnroe flamboyants. Mais quand le groupe joue à domicile, sur son territoire, sa carte du tendre, les chansons en question nous bouleversent, quel que soit leur registre. Beau joueur avec Les filles, jaloux sous contrôle sur Marc, nervalien avec S'éloigner quand même ou Premingerien sur La lune sera bleue. C’est sans doute Saturne qui étonne le plus, fascine autant, Saturne, dieu du temps qui creuse les cernes. Après ce moment dans le disque que l’on voudrait figé, pour gagner des heures de vie, le groupe a l’élégance de terminer sur Moi je joue, chanson finalement assez fondatrice du crédo pop. S’amuser, jouer, partager de cet enthousiasme juvénile qui est le propre de la musique, de ce bon vieux rock’n’roll. Et Guerret qui fait sa Bardot ne démérite pas, se mettant habilement en danger, parfaitement accompagné par le reste du groupe. Romain a toujours été un beau pitre, personnage de scène – publique ou privée –, un André Breton des temps nouveaux.
Sur ce disque, sorti exclusivement en vinyle, excusez du peu, il y a des chansons de deux-trois minutes mais aussi des titres dépassant les cinq alors que le tout ne fait pas plus de trente-deux minutes. Toujours cette leçon du Sablier destinal. Tout finit par passer hélas. Et dans cette logique, cette oraison ne devait pas dépasser la page unique, elle devait, comme disait Camus, « s’empêcher ». Quand on aime, on compte finalement. Les heures sur disque, les années et les mots. Adieu avec un A comme Aline.
Aline, La lune sera bleue (2009-2015-Live Factory)
https://www.deezer.com/fr/album/545603052
Photo ©DR
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