The Rising Storm. Un groupe précédé d’une réputation flatteuse dont l’unique album se révèle être une tempête… dans un verre d’eau. Pourquoi ? Pour son année de sortie où la concurrence était implacable ? 1967. C’est le grand tsunami de la pop qui part de l’Angleterre beatlesienne pour s’abattre sur l’Amérique. Dans le fracas des vagues colorées surgit un genre qui est un monde en lui-même et avec lequel, pour finir, l’Angleterre peinera parfois à rivaliser : le psychédélisme. Non pas que la perfide Albion ne proposa pas son lot de groupes, de disques fondamentaux – ce fut bien évidemment le cas – mais l’Amérique eut ceci d’explorer la face la plus sombre de l’acid-rock. Le premier album de Mad River ne démérite pas, incarnant pour le pire une musique intransigeante, tortueuse et dont les ondoiements seront autant d’ondes de choc pour les auditeurs les plus curieux. Des exemples comme Mad River, il en existe des wagons entiers.
S’agissant des Rising Storm, tout est dans le titre en épithète. Calm Before… The Rising Storm. À l’écoute du disque, la formation ambitionnait sans doute de pencher des deux côtés dans un équilibre habile qui aurait scellé son destin. Les Rising Storm naviguent en eau trouble, entre le courant naissant du psychédélisme et ceux du rock garage qui comporte son lot de formations mythiques, d’hymnes définitifs. Les Rising Storm jamais ne jouèrent dans un garage comme l’aurait voulu la légende. Les musiciens ne sont que six timides étudiants à l’université, la Phillips Academy Andover, à vingt-cinq kilomètres au nord de Boston. À cet âge qui est celui de l’innocence, on ne pense qu’aux filles, surtout quand on n’est pas le capitaine de l’équipe de football. Nos six garçons pas encore dans le vent dînent tous les soirs ensemble et finissent chaque fois en jouant leurs chansons préférées. Ils vibrent au son de cette musique qui est en train de s’écrire en cet instant, devant leurs yeux ébahis. « C’était l’époque parfaite » dira l’un d’eux. Un soir, ils découvrent dans un bâtiment du campus une pièce en sous-sol qui semble désertée. C’est ici qu’ils répéteront les standards à la mode et leurs propres compositions, celles qui figureront sur leur unique LP. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces chansons originales fascinent davantage que les reprises, à l’exception de celles des Rockin’ Ramrods, dont Mister Wind, parce que leur version ressemble plus aux morceaux candides surgis de leur plume.
La seule concession au garage punk psyché des années 65-66 s’avère le très efficace She loved me avec son riff à la fuzz et ses nappes d’orgue tourbillonnantes sur le refrain. Le sujet de la chanson, l’amour, nous renvoie au reste, à ces trois chansons que sont To L.N./Who doesn't know, Frozen laughter et The rain falls down. Rien à voir avec des hymnes lysergiques, ce sont de simples slows. Mais pas de bêtes slows. L.N./Who doesn't know est de loin la chanson la plus magistrale, la plus addictive. Elle emprunte le sillon déjà tracé de la folk song mélancolique et légèrement hantée. N’y voyez nulle posture. Nos musiciens en herbe n’avaient que seize ans au moment des faits. Tout y est délicieusement maladroit, la voix frêle, l’orgue mixé en arrière, la pauvreté de la prise de son – cinq jours en studio pour graver douze titres, c’était peu et déjà beaucoup. Il ne faut pas voir Frozen laughter comme une chanson en dessous. Sa forme dépouillée, quasi crépusculaire ou aurorale, c’est selon, lui confère un charme fou, une spiritualité incroyable compte tenu de l’âge de son auteur et de ses interprètes. Là aussi, l’histoire est touchante. Le chanteur et guitariste du groupe évoque une jeune fille qui travaillait chez un marchand de glaces, à Cap Cod, et qu’il croyait pouvoir aimer. Ce tourment est décrit avec une économie de mots mais en convoquant des images saisissantes comme cette « âme en ruine ». On en revient à leur âge et l’on se plait à intellectualiser un banal enregistrement comme l’acte de naissance du teen psychedelism. The rain falls down et son entame majestueuse prolonge cette ambiance quasi mortuaire. Car ces morceaux racontent la mort de l’adolescence qui n’est que la continuation de l’enfance. C’est là leur grandeur. C’est aussi, dans un jeu de miroir, la fin des sixties qui s’entend ici.
En dehors du mythe que des collectionneurs passionnés ont entretenu, conférant au disque un succès inattendu, on perçoit bien dans les meilleurs moments de Calm Before… The Rising Storm le début de quelque chose, une postérité de l’ombre que des formations feront vivre l’année suivante, en 1968, acmé absolu du psychédélisme. D’autres groupes enregistreront à leur tour des ballades rêveuses, des vignettes vaporeuses. On songe alors à Federal Duck (Knowing That I Love You So), The Love Exchange (Meadow Memory, Two-O-Tango, Ballad Of A Sad Man), The Yankee Dollars (If In Swimming), The Growin Concern (Hard Hard Year). Mais on revient au Rising Storm pour leur fragilité gracile, leur imperfection touchante, le caractère désintéressé de cet enregistrement unique. À redécouvrir comme tant d’autres. À chérir comme quelques-uns.
The Rising Storm, Calm Before… (Remnant)
https://www.youtube.com/watch?v=NUQ7LO_7dec