Ne tortillons pas, l’acmé créative de Clapton se situe entre 1966 et 1968, soit les années discographiques de Cream. Cream c’était un trio alchimique formé de Clapton donc, de Jack Bruce et du batteur fou Ginger Baker. Ce serait oublier le poète Pete Brown, allié précieux de Bruce, à la plume duquel on doit quelques chefs-d’œuvre comme I feel free, Sunshine of your love, Dance the night away, Swlabr, White room, As you said, Politician, Deserted cities of the heart. Brown s’inscrit dans une lignée particulière, celle des poètes de groupe (Keith Reid avec Procol Harum, Peter Sinfield avec King Crimson, Robert Hunter avec le Grateful Dead, Larry Beckett avec Tim Buckley) ; parenthèse refermée ! Pete Brown et Jack Bruce devinrent amis malgré leurs carrières solo respectives, celles de Bruce prenant une avance certaine. Mais avant cela, Brown connut une séquence artistiquement passionnante au sein de deux formations dont la deuxième lui valut les éloges des fans : The Battered Ornaments avec qui il sortit un seul album au son rêche, et Piblokto qui nous intéresse ici.
Autour du guitariste Jim Mullen et de l’organiste Dave Thompson gravitent les bassistes Roger Bunn et Steve Glover et le batteur Rob Tait. Ces changements à la marge n’altèrent pas la qualité des deux disques, Things may come and things may go, but the art school dance goes on forever et Thousands on a raft, supérieurs en tout point aux albums de Cream. Sur ces deux Lp, Brown assagit sa voix, ce qui n’empêche nullement les musiciens de proposer un ensemble musicalement dense, passionnant, où la puissance du rock ne s’interdit pas de côtoyer la délicatesse du jazz. De ce mélange pas forcément nouveau, le groupe tire une musique qui prolonge de manière originale les meilleurs titres de Cream, comme White Room,pour ne citer que ce chef-d’œuvre. S’il n’est pas Clapton, Mullen s’avère plus que compétent, jouant de tous les effets pour emmener ses compositions au firmament pop. Il convient de dire que du premier au dernier titre, ce premier essai ne faiblit jamais, servi par des chansons de haut vol, parfaitement arrangées. Orgue, guitare et cuivres se mêlent en un sabbat orgasmique et dans ses moments les plus délirants, le groupe n’est jamais bien loin d’un Frank Zappa période Mothers. Mais là encore, comparaison n’est point raison et le groupe de trouver une incarnation qui lui est propre, comme en témoigne le très beau et classe High flying electric bird. Sans laisser retomber cette sauce si bien équilibrée, le groupe livre un aérien et élégant Someone like you. Mais le meilleur reste à venir. Dès ses premières mesures tout en percussions africaines, Walk for charity, run for money annonce la couleur, celle d’un morceau dont la tension ne baissera jamais. Il marque le début d’une course folle qui trouvera son prolongera naturel, quoique plus lymphatique, dans Then I must go and can I keep. Le sublime solo d’orgue au son incroyable propulse le morceau dans la stratosphère. Il n’y a que les Anglais pour jouer comme ça et l’on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec un autre organiste de génie, le maître incontesté Brian Auger.
Incroyablement entamée par ce fabuleux morceau, la face B va alors migrer vers des ambiances plus contrastées, entre ballades (le sublime My love is gone far away et le stonien Golden country kingdom), folk brumeux (l’étonnant Firesongjoué à l’harmonium) et le jazz atonal (le fabuleux final de Country morning). Mullen y fait montre de son toucher délicat, bluesy et aérien à la fois et Brown n’a jamais aussi bien chanté que dans ces intenses dernières minutes. Sur sa lancée, le groupe retrouve le chemin des studios la même année pour un deuxième album, toujours chez Harvest. Sacré moisson puisque le LP comporte deux longues suites de respectivement dix-sept et douze minutes. Une fois de plus, ce sont les morceaux les plus mélodiques qui demeurent gravés dans les mémoires. Démarrant sur un riff presque heavy, Aeroplane head woman s’impose comme un titre tout à la fois efficace et raffiné. Station song platform two s’autorise une sortie impériale tout en piano acoustique, où le morceau s’amourache des notes plus classiques comme pour les nimber de grâce. Highland song, premier gros morceau du disque, parfait de bout en bout mais on se précipite alors sur If they could only see ne now pts 1 & 2, autre titre gargantuesque qui ouvre la face B. Plus groovy, il séduit d’emblée, nous attrapant dès la première seconde pour ne plus jamais nous lâcher. Malgré un pont sans doute trop long laissant libre court aux talents de percussionniste de Rob Tait, le titre retrouve les charmes mélodiques et techniques des débuts. Got a letter from a computer, où Brown feule plus qu’il ne chante, nous entraîne dans son inextricable jungle instrumentale. L’album finit en beauté avec le morceau-titre, Thousands on a raft, coécrit par Brown et Mullen. Nanti d’une fantastique pochette, Des milliers sur un radeau conclut cette courte et formidable aventure.
Pete Brown poursuivra les collaborations, enregistrant sans cesse jusqu’à symboliquement se retirer du business de la musique aux premiers braillements auguraux de la génération punk. Il y reviendra de façon sporadique, dans les années 80, 90 puis 2000. Il collaborera même au dernier album de Procol Harum, puis s’éteindra en mai 2023, un an après Gary Brooker. Quoi de mieux qu’un inédit pour résumer une partie de l’esprit de ces disques mémorables, du moins qui auraient dû l’être un peu plus : Broken magic. Magie brisée, mais magie quand même.
Pete Brown & Piblokto!, Things may come and things may go, but the art school dance goes on forever (Harvest)
https://www.deezer.com/fr/album/315555
https://www.deezer.com/fr/album/315556
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