Power trio

par Adehoum Arbane  le 12.12.2023  dans la catégorie Interviews & reportages de Shebam

C’est peu dire que Blonde Redhead était attendu à Paris. Lorsque le groupe apparaît parmi les ombres rougeoyantes de la scène, il trouve une salle comble. “Jouer à guichets fermés” comme dit l’expression. Avant d’aborder la prestation, de raconter ce que chacun a dû en penser et il est sûr que chaque spectateur ressentit ce soir-là la même impression, la même émotion, précisons que Blonde Redhead n’est pas une formation des plus récentes. Elle prend sa source dans les 90s new-yorkaises, rock arty disait-on. Une extension respectable du grunge de la côte Ouest. Un premier album court et abrupt est publié pour le label Smells Like Records. Tout est dit sur l’intention que prend alors leur musique. La Blonde Rousse se singularise par sa structure, un trio, guitare/clavier, basse/clavier, batterie, deux frères jumeaux italo-canadiens (Simone et Amedeo Pace) et une chanteuse japonaise (Kazu Makino). Si on ajoute l’âge, l’expérience, le côté madré de leur discographie et le fait que cette dernière se partage en deux périodes distinctes, on fait rapidement le constat que Blonde Redhead n’est pas la formation mainstream des années 2023 avec son cortège de coiffures et de tenues improbables. Mais revenons au concert. 

Loin du froid qui s’installe à l’extérieur, baiser de la mort hivernal, le cœur de la Cigale se réchauffe devant les brocards des tentures. Quand ceux-ci se replient, découvrant la scène et son dispositif, la fosse est envahie d’une lumière douce et chatoyante alors que les vivats semblent appeler le groupe. Qui finit par arriver. La performance, le mot a son importance, peut commencer. “The ceremony is about to begin” chantait Morrison. Il y a un peu de cela ce soir. Dès les premières mesures de Falling man que le public reconnaît immédiatement, plusieurs pensées viennent à l’esprit. D’abord, Blonde Redhead demeure, malgré sa modernité évidente, un groupe à l’ancienne. Par-là, il faut entendre un groupe qui sait écrire des chansons, des mélodies. Blonde Redhead a constamment quelque chose à dire et il exécute ce propos avec une musicalité qui semble anachronique. La suite de la setlist défile. L’audience est conquise parce qu’elle est en terrain connu. En effet, le groupe a la bonne idée de capitaliser sur son répertoire de seconde partie de carrière, soit le meilleur de ses deux chefs-d’œuvre, Misery is a butterfly (2004) et 23 (2007). Il ne délaisse pas pour autant les nouveaux morceaux, plus languides, moins préhensibles. Et pourtant, on se surprend à être séduit par SnowmanMelody experimentSit down for dinner (Pt I & II)Rest of her lifeNot for me et Kiss her kiss her que nos trois musiciens disséminent habilement, les entourant de chansons connues, rassurantes. Enfin, et c’est l’aspect déterminant de ce concert, Blonde Redhead est un groupe aussi passionnant sur disque que sur scène. Même s’ils ne disposent pas des mêmes moyens instrumentaux, et on leur pardonnera l’utilisation de samples pour recréer les climats étranges et romantiques de Falling man ou de Doll is mine, nos musiciens ne se bornent pas à transcender la technique qu’ils maîtrisent à l’évidence ; ils la mobilisent comme il se doit, l’utilisant toujours à bon escient. Point de vaine virtuosité, leur savoir-faire est constamment mis au service de la mélodie, mieux, il leur permet de faire de chaque chanson une expérience sensorielle au pouvoir incontestable. Ainsi, on ne dira jamais assez de bien du jeu de percussions de Simone Pace dont les moindres détails s’entendirent, grâce à l’acoustique parfaite de la Cigale. On saisit mieux la réalité de son talent lorsque l’on découvre que lui et son frère – Amedeo est un excellent guitariste, très impressionniste – ont étudié le jazz à Boston. Kazu Makino passe des claviers à la basse et irradie les chansons de son timbre de porcelaine qui a trouvé son âme sœur dans la voix tout aussi blême d’Amedeo. 

Ainsi, et le mot a été cité, Blonde Redhead impose, logique pour un trio, son pouvoir, celui d’une musique hypnotique, une musique de boucles, une musique à la fois enveloppante et abstraite, au bord du concept dans sa manière d’agencer différemment les chansons, démarche au combien expérimentale, tout en conservant un séduisant habillage pop. Ce qui ne les empêche pas de pousser certaines de leurs compositions dans leurs retranchements rock, parfois au bord de l’abîme sonique. Comme un hommage à leurs débuts. Power trio, assurément. Mais power trio beau, offrant ici un spectacle total, splendeur physique malgré le temps qui passe d’une femme et de deux hommes en tout point égaux, splendeur du décorum, des lumières quasi psychédéliques, comme un rappel aux images vrombissantes du Velvet, entre 1966 et 1967. Que demander de plus ?

Blonde Redhead, La Cigale, 28 novembre 2023

Falling man

Dr. Strangeluv

Doll is mine

Elephant woman

Snowman

Melody experiment

SW

Sit down for dinner (Pt. 1)

Sit down for dinner (Pt. 2)

Maddening cloud

Spring and by summer fall

23

Rest of her life

Rappel : 

Here sometimes

Not for me

Kiss her kiss her

 

 

 

 

 


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