Charles-Baptiste, flesh forward

par Adehoum Arbane  le 05.12.2023  dans la catégorie A new disque in town

Quels sont les grands enfants de la pop ? Brian Wilson en premier chef. McCartney qui, dans la fleur de l’âge, s’imaginait avoir 64 ans. Il ne cesse de jouer les irréductibles gosses par sa malice affichée, son énergie sur scène. À 81 ans, sans doute se rêve-t-il en galopin du songwriting. Mick qui sur scène danse encore comme s’il avait vingt ans. Mais Sir Jagger est de la noblesse rock dont on fait les rocs les plus granitiques. Ceux qui durent. Il ne s’agit pas là de dire que Charles-Baptiste, qui vient de sortir son troisième album, Grand enfant donc, l’a fait en hommage à ces figures tutélaires que ce fan de prog hardcore et de pop élégante respecte au fond, avec l’honnêteté de l’artisan et la sincérité du dévot. Grand enfant est l’occasion d’un retour aux sources, pas tant musicales – encore que –, mais à ce qui nous lie les uns aux autres, pas n’importe quels uns, pas n’importe quels autres. Ce qui fait que nous appartenons à une famille. 

Pas à la famille de la pop, de ses fabricants, de ses zélateurs, mais à la famille tout court, celle qui nous a vus naître, celle qui nous a désiré, nous a porté, celle vers laquelle on revient toujours – et pourquoi pas avec un album –, la famille sacrée, aimée, détestée parfois. La famille avec ses failles, quand on retire le « M » et qu’on y ajoute le « S » des malentendus qui se multiplient. La famille est un terrain de jeu dès la naissance, et il le reste quand, plus tard, devenu auteur-compositeur-interprète, on y rejoue les partitions des âges de la vie. Playground, mais Playground love, au fond. C’est ce qui se déroule sous nos yeux ou entre nos deux oreilles, au beau milieu du cerveau, lorsque démarrent les xx chansons du disque, toutes rangées aussi bien qu’on aimerait le faire dans la vaste maison de la création. Cette genèse familiale commence paradoxalement par la fin, le jour du repos. Dimanches. Nous l’avons déjà dit, écrit, cette chanson par son amplitude, la force pesée de ses mots, de ses rimes trouvées comme un trésor au fond du jardin, nous embarque dans un maelström de souvenirs et d’émotions car ces dimanches-là, ce sont les nôtres. C’est là le talent de son auteur, de Charles-Baptiste. Faire surgir dans une chanson l’évidence. La marque des grands (enfants). Le voyage mémoriel se poursuit avec Tout pour elle. On y parle de la douloureuse réalité de la maladie qui n’épargne personne, ni la famille, c’est la vie. C’est beau, la vie. C’est triste aussi. Tout ceci est contenu dans la mélodie à la Claude Sautet (le clip se déroule dans un troquet) qui s’autorise à citer Liam Neeson, le père moderne des revenge movies. « Le mec fait tomber toutes les portes ». Ça, dans une chanson, c’est un coup de génie. Le reste, les arrangements, tout y est ineffable, délicat, tendre. Tout pour elle, Charles-Baptiste a donné tout pour cette chanson. 

Brothers and sisters. Ne vous fiez pas à l’anglicisme. Ce n’est pas un rap ou une soul song de stade. Cette chanson faussement joyeuse avec ses paroles à décoder nous raconte les rapports difficiles au sein d’une fratrie, lieu de chair et de sang, de coups, de bisous et de larmes. C’est un théâtre grec, vous l’aurez compris, la tragédie rose bonbon (merci à la production). Autre fulgurance de Charles-Baptiste. Si Tout faux reprend le thème de Tout pour elle, c’est pour mieux bifurquer ailleurs, aborder le sujet politique, donc casse-gueule, de l’identité contrariée. Une fois n’est pas coutume, la qualité d’écriture, mélodie, paroles, la modernité classieuse des arrangements et l’art de formule « On coupe pas des cheveux sans casser des œufs », avec sa jolie référence à la japanimation de notre enfance, autant d’ingrédients magnifiquement synthétisés en trois minutes chrono. Arrive Grande fille. Cette chanson, aussi courte qu’interminablement langoureuse et qui rappelle le plus Le love et le seum, ne fonctionne pas sans son corollaire, Dodo, qu’on a envie de prononcer Doudou, grand enfant oblige. Cependant, Charles-Baptiste ne fait pas dans la naïveté béate, bien que les premières strophes fassent songer à Allo maman bobo de Souchon. Dans ces violons vifs, il y a une énergie sanguine qui inverse les rôles : les parents sont des mômes et leurs enfants des darons qui dès lors s’emploient à les aider, les rassurer. Deux ou trois choses que je dis à Clara nous propulse dans le passé de son auteur, aux premières heures de sa carrière d’élégant chanteur de variété. Moment de bonheur régressif, frais et inspiré. La voiture nous conduit en faisant des stops de mots, d’expressions volontairement lacunaires, comme si le chanteur et son invitée se voulaient les jolies perruches des embardées sur la Riviera imaginaire de nos vacances familiales. Après ces quelques virevoltantes envolées joyeuses, il est temps de recouvrer une forme de gravité contenue. C’est le cas de Tonton qui ménage ses effets, drape sa mélancolie dans un air d’innocence. Charles-Baptiste s’apprête à achever Grand enfant mais nous achève avec son morceau-titre, épaulé de l’écrivain Nicolas Mathieu. Dans la pudeur des arrangements, les artistes s’arrangent toujours avec tout, leur confiance, leur conscience, le texte incroyable de densité nous explose à la gueule, pardonnez la trivialité du propos, mais c’est ici le cas. C’est une fausse grande chanson de fin d’album qui donne ainsi à Dimanches et à Tout pour elle un petit grand frère. Malin, roublard même, Charles-Baptiste livre en guise de final apocalyptique le prophétique Si on changeait (qui ne peut fonctionner sans son « tout »). Magistralement accompagné du Star Feminine Band, miraculeuse formation béninoise, la chanson ouvre grand la porte vers le futur. On repart à zéro, vraiment ? Comme dans toutes les histoires de famille ou d’amour ou des deux.  

Enfin, avant de tourner la page de cette chronique, on pourra lire aussi ce titre dans un combinaison autre, en croix : Charles Enfant, Grand Baptiste. Comme si ce chemin en arrière était là une manière de plonger dans le bain de la rédemption, une façon de retrouver l’origine sinon du monde, de l’homme, de l’artiste, de la création. De revenir à un état quasi virginal où les plus folles bêtises sont aussitôt pardonnées. 

Charles-Baptiste, Grand enfant (Robert Records)

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https://www.deezer.com/fr/album/461844335

Photo ©Tulyppe

 

 

 

 


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