Copperhead, serpent de mer ?

par Adehoum Arbane  le 26.09.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Déconvenue, scoop chassant un autre, ou simple journée de travail avec son interminable cascade de soucis, de bévues, de crises plus ou moins importantes… Nous sommes confrontés tous les jours à cette triste réalité du provisoire qui nous incite à relativiser, à enjamber les situations, fussent-elles pénibles. À passer à autre chose. L’art n’est pas étranger à cet forme de renouvellement perpétuel, à ce besoin de considérer une œuvre réalisée comme passée, et donc à la dépasser. La pop offre son lot d’exemples, mais la chose semble encore plus criante quand il s’agit d’un passage de décennie. Ce que les sixties avaient accompli, les seventies allaient parfois le poursuivre ou tout simplement le jeter aux poubelles de l’Histoire. En 1969, le psychédélisme états-unien vit ses dernières heures. De nouveaux héros ont pris la tête du renouveau rock et pop. Alice Cooper, pour ne citer que lui, avec son savant mélange de pop, de glam et de hard rock à tendance progressive. La folk et la country ouvrent aussi de nouveaux territoires d’expression musicale. Bref, du passé faisons table rase. Vraiment ?

Quand en 1970 John Cippolina quitte Quicksilver Messenger Service, sans doute insatisfait des orientations musicales que prend alors le groupe, celui-ci n’aspire peut-être pas à rejouer éternellement la partition de l’acid-rock. En revanche, il sait qu’il a encore des choses à dire. En cette année du renouveau, il fait face à deux options. Se lancer sous son propre nom. La chose est risquée car la concurrence attend en embuscade, déjà là. Son instrument roi n’est pas la guitare mais le piano, plus noble. De plus, l’un de ses amis et co-aventurier, Nicky Hopkins, s’est déjà lancé avec plus ou moins de chance. N’est pas Elton John qui veut. Soit il remonte un groupe dans l’urgence (de la création), ce qu’il fera. Gary Phillips au chant et à la seconde guitare (aussi à l’orgue), Jim McPherson à la basse, au piano et au chant, Pete Sears à la basse et également au piano, vite remplacé par Hutch Hutchinson et enfin David Weber, derrière les fûts, acceptent de l’accompagner. D’autant qu’ils sont signés par Columbia, pas un perdreau de l’année en matière de label. Un premier album sort relativement tardivement en 1973 et sera un cuisant échec, compromettant les chances du second. L’histoire pourrait s’arrêter là. L’histoire, du moins l’intérêt. Ils sont légion, les disques rapidement tombés aux oubliettes ou brutalement interrompus. Succès désertique pour ce groupe ayant emprunté son patronyme à un serpent du nord de l’Amérique, sorte de vipère méconnue et pourtant mortelle. Tout un symbole, à plus d’un titre. Tiens justement,  les titres. 

Nanti d’à peine huit chansons mais affichant une confortable durée de trente-neuf minutes, Copperhead, le LP, brille de mille feux, ceux de ses qualités diverses, de son inspiration multidirectionnelle. Peut-être est-ce pour cela qu’il fit un four, il n’en demeure pas moins un disque remarquable et un jalon, certes confidentiel, dans l’histoire du rock californien. De Quicksilver et son psychédélisme métallique et liquide, il conserve quelques inflexions audibles dès l’entame du disque, sur Roller Derby Star. Nerveux sur le refrain, éclatant comme une bombe prometteuse, Roller Derby Star offre à Cippolina un premier et mémorable solo de guitare. Avec sa rythmique d’un autre âge, Kibitzer ne trahit en rien l’esprit passé de ce rock dont l’hypnose figure parmi ses attributs. A Little Hand rompt les amarres, non pas de l’expérimentation,  mais de l’inspiration pour revenir à ce genre de chansons alors très en vogue, la composition de singer-songwriter. On jurerait être au beau milieu d’un double album d’Elton, période 71-72, ou sur un disque du Band première période. Immense chanson, A Little Hand nous gratifie d’un refrain mythique que l’on aurait rêvé entendre puis réécouter sur les ondes des radios de la baie. Conscient de leur sortie de route, fût-elle géniale, le groupe revient au fondamentaux avecKamikaze dont le sitar constitue une troublante et délicieuse introduction, alors que la suite évolue sur le territoire du rock’n’roll. Du précédent titre, Kamikaze conserve malgré tout une forme d’élégance, de classe radiophonique qui aurait dû en faire un tube immédiat. 

Ainsi s’achève la face A. La face B démarre efficacement avec Spin Spin. Même évidence mélodique, le son de Cippolina en plus. Ce trémolo aigu reconnaissable entre tous. On continue, non sans rythme, avec Pawnshop Man. Introduction séduisante, vaguement dramatisante. Le chanteur – est-ce Gary Phillips ou Jim McPherson ? – s’en donne à cœur joie, tandis que Cippolina balance l’un de ses chorus dont il a le secret, mi-fantasque, mi-classique. Il y a toujours des réminiscences indianisantes dans cette musique à nulle autre pareille. On n’arrête pas un train fou en marche. Wing Dang Doo en est la preuve, même s’il s’avère le morceau le moins passionnant. Il faut dire que sa linéarité maîtrisée ne laisse que peu de place à l’improvisation. C’était sans doute pour nous préparer au grand finale, long de plus de sept minutes, de They' Re Making A Monster. Démarrant sur un son indistinct, comme si nous étions au fond d’un bar du Far West, le titre montre pourtant des atours prometteurs. Mid-tempo en ses débuts, il semble se réserver des jours meilleurs, qui arrivent vite, rassurez-vous. Un premier break installe le refrain, effrayant, louchant presque sur ce que faisait le Alice Cooper Band en 1970-71. Le moment du morceau s’avère le cri du loup du chanteur pour annoncer le solo de Cippolina, qui ensorcèle plus qu’il ne dévaste. C’est son génie. Sur la fin, quelques notes (de synthés ?) accroissent la magie et l’impact. Puis, une coupure aussi nette qu’un trait de hache dans le soleil du désert. 

Le groupe a-t-il créé un monstre discographique ? Sans doute pas assez pour les radios, le label, la promo. La dynamique est donc stoppée. En cette année 73 où les chefs-d’œuvre s’empilent bien au-delà des bacs, Copperhead ne fait pas tache. Il n’insulte pas la concurrence, sans toutefois la dépasser. M’enfin, permettez cette audace : Copperhead, même s’il n’a pas un tube comme Angie, pourrait largement jouer des coudes avec Goats Head Soup des Stones. Il brille encore aujourd’hui comme un éperon en pleine rue, que des broussailles traversent alors dans une danse sinistre. On vous avait prévenus. They' Re Making A Monster. Monster LP. 

Copperhead, Copperhead (Columbia Records)

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https://www.youtube.com/watch?v=_ri11o_DDGQ

 

 

 


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