Longtemps, les peintres ont puisé dans l’imaginaire antique puis chrétien des trésors d’inspiration. Mantegna, Bosch, de la Francesca nous viennent rapidement à l’esprit qui ont su initier une voie singulière dans la représentation du mystère religieux. Il en est de même pour la musique populaire. Oh nous ne voulons pas évoquer aujourd’hui la force du gospel ou cette douce anomalie du rock chrétien pas plus que nous n’allons prendre le chemin de Damas de l’hindouisme dans le rock psychédélique. Bien avant Damas, un peu plus au nord-est, à quelques kilomètres obliques de la Crète, on trouve l’Égypte. Qui n’a rêvé de fouler ses rivages puis, du Caire, de s’enfoncer dans le désert à la découverte des plus beaux sites antiques ? Rassurez-vous, nous ne ferons pas de cette esquisse un guide touristique encore que celui-ci, s’il prenait forme, pourrait changer de ses concurrents consciencieusement rangés dans les rayonnages des librairies.
L’Égypte. La terre des pharaons. Des pyramides. Les sites les mieux conservés au monde. Des constructions rivalisant de savoir-faire et d’ingéniosité qui ont traversé miraculeusement les âges jusqu’à surgir d’une mer de sable aux XVIIIe et XIXe siècles. Dire que la culture égyptienne, son héritage, voire son folklore auraient percuté frontalement l’univers de la pop à l’orée de l’année 1967 serait hardi, sans doute mensonger. Il s’agira plutôt d’explorer les artefacts référenciels que l’on découvre dans un grand nombre d’œuvres discographiques. Au-delà des citations explicites comme la fameuse chanson des Bangles, Walk Like An Egyptian, c’est tout un faisceau d’indices qui se déploie tant sur les pochettes que dans les chansons même si l’on peinerait à définir la musique égyptienne en tant que telle, surtout à l’époque des pharaons. Mais ce n’est pas là l’essentiel, la musique en général, et la pop en particulier, s’avérant pure création de l’esprit. Ainsi, il existe un motif d’orgue se déclinant dans une quantité de chansons et morceaux psychédéliques et dont nous pouvons donner la paternité à Iron Butterfly. A la vingt-septième seconde de la treizième minute de In A Gadda Da Vida, on entend cette phrase hypnotique, obsédante, orientalisante à souhait qui suggère plus les rituels de l’Égypte antique qu’un quelconque folklore arabe que l’on perçoit plutôt et paradoxalement dans le mal nommé Egyptian Gardensdu groupe américain Kaleidoscope. Le reste oscille entre évocations exotiques et lysergiques (Keep Your Mind Open) et blues plus conventionnels. Pour en revenir au passage de In A Gadda Da Vida, il fera florès puisqu’il réapparaît comme par magie en 1968 sur I’ll Find Love du combo californien Brain Police et au beau milieu de I’m Crazy du groupe mexicain Kaleidoscope (!!!). Il doit en exister d’autres copies conformes, inutile donc de les passer toutes en revue.
Il ne faut pas croire que le seul rock psyché américain se plonge dans les sortilèges d’Anubis, d’Horus ou de Râ. Certes, le rock progressif n’est pas en reste puisqu’il peut compter en ses rangs la formation française Anubis, certes aussi influencée par le grand frère anglais Led Zeppelin. Par ailleurs, plus de vingt formations dans tous les genres se partagent ce glorieux et mystérieux patronyme, preuve de la fascination exercée. Plus intéressante est la formation East of Eden. Et sur Mercator Project, son premier album en 1969. Au-delà des costumes que les musiciens arborent au verso de la pochette (ils sont grimés en pharaons et dignitaires égyptiens), le morceau final, In The Stable of the Sphinx, ne fait pas mystère de sa référence. Et si la musique se veut plutôt un mix exotique et charmeur entre blues, folk et rock psychédélique en vigueur, elle n’en demeure pas moins fascinante, déployant ses charmes tout au long de ses huit minutes trente. Il va sans dire que l’album entier demeure digne d’intérêt et doit être exhumé pour ses trésors (Northern Hemisphere, Isadora, Waterways, Bathers, Moth) même s’il reste mineur dans l’abondante production discographique de l’époque. Plus tard, en 1972, le groupe allemand Agitation Free sort son premier album, le plus signifiant parce qu’inspiré par son voyage en Moyen-Orient (les musiciens sont passés par l’Égypte). Évocation directe, Sahara City en plus d’être un morceau des plus mystérieux se trouve être également un village aux portes d’Assouan, sur la route désertique menant au temple d’Abou Simbel. Parallèlement au rock, suivant une même direction en termes d’ambition, cohabitent de certains morceaux jazz qui clament leur fascination pour la civilisation millénaire dont il est question ici : Nefertiti qui se pavane en couverture et Pharaoh's Dance qui ouvre Bitches Brew, tous les deux signés Miles Davis. Toujours chez les jazzmen, mentions spéciale tout de même au saxophoniste Farrell Sanders plus connu sous le nom de Pharoah Sanders et au modeste Sun Ra qui ne manque pas d’afficher sur photos ses plus belles coiffes royales. Revenons enfin à la pop et à celle des seventies. Le prog qui n'en est pas à sa première fois en matière de déclinaison propose le groupe Ramases. En 1982, sur Never for Ever, Kate Bush délivre un explicite Egypt qui sortira en face B avec les symboles afférents. Quant à l’album Pyramid d’Alan Parsons Project, il mérite de clore ce bref inventaire. Lui se paye le luxe d’un clin d’œil thématique, conceptuel et donc visuel.
Nous l’avons vu et dit, il est complexe de définir une forme primitive de son, de style provenant de l’Égypte antique et c’est au-delà qu’il faut aller chercher, enfin au-delà, aux portes de ces musiques-là. Dans les symboles, les codes, les pures évocations dessinées sur pochettes. Et elles sont nombreuses. Parfois évidentes comme la pyramide transpercée d’un arc-en-ciel graphique de Dark Side of The Moon où l’on retrouve les pyramides de Gizeh à l’intérieur de la pochette gatefold. Parfois plus cryptique – sans mauvais jeu de mots – et nous allons le voir. Du côté de l’évidence, mentionnons tout d’abord la très belle pochette du premier album d’Ash Ra Tempel (tout est dit dans le nom) qui arbore un magnifique portrait d’un pharaon anticipant le dessin d’Enki Bilal qui lui aussi multipliait les personnages fantastico-égyptiens. 1977, Earth, Wind & Fire ajoute la pierre à l’édifice avec, sur All’n’All, un pastiche assez disgracieux du temple d’Abou Simbel. Citons à nouveau le Alan Parsons Project qui en visuel de son single Eye In The Sky retient l’œil d’Horus. En 1980, Cure se fend d’un artwork sobre et mais bien dans le thème sur Boys Don’t Cry. Plus tard ce sont les Anglais métalleux d’Iron Maiden qui s’y collent avec le très impressionnant artwork de Powerslave, signé Derek Riggs, où le zombie Eddie se réinvente en pharaon démoniaque. Idem pour Magma qui en 2008 sort le très explicite Ëmëhntëhtt-Ré. Même McCartney s’y mettra avec son album de 2018, Egypt Station.
Le diable étant aussi dans le détail, observons de plus près certaines des couvertures les plus anodines, ou les moins référencées. Et commençons par croire à un clin d’œil inconscient en découvrant l’oreille de pierre (qui renvoie au nez cassé du Sphinx ?) du tout premier opus d’Iron Butterfly, le fameux créateur du motif d’orgue égyptien. Comme toujours, c’est du côté des hippies san-franciscains qu’il faut s’enquérir de la survivance de tels symboles. Ainsi, sur la pochette recto de Surrealistic Pillow du Jefferson Airplane, on croit deviner en haut à gauche un simili-hiéroglyphe d’un quelconque pharaon mais ne nous tourmentons pas trop. On voit bien distinctement sur la pochette intérieure du disque suivant, After Bathing at Baxter’s, la fameuse croix ansée, symbole de vie éternelle. Passons chez Grateful Dead et son troisième album Aoxomoxoa. Au-dessus du nom du groupe redessiné par Rick Griffin, ne devine-t-on pas le cercle solaire entouré de deux serpents et d’une paire d’ailes comme sculpté sur tous les temples, de Louxor à Assouan ?
Enfin, quand l’Égypte antique ne s’invite pas en titres ou sur pochette, elle se laisse filmer. Ainsi apparaît elle pour le meilleur (et parfois le pire) dans le clip pharaonique de Remember The Time de Michael Jackson. Par Horus, demeure ?
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