Pourquoi les Lemon Twigs sont au-dessus de la mêlée ? leurs albums ? Ils en ont déjà quatre au compteur, un E.P. cinq titres en plus, sorti entre leurs premier et deuxième Lps auquel il faut encore ajouter un live officiel, rien que cela. Bien évidemment, ces disques s’avèrent un peu plus qu’excellents, on les perçoit malgré leurs quelques scories comme essentiels. Déjà un signe. Les Twigs écrasent la concurrence, et pas plus loin que sur la scène. En dignes enfants de la balle, cette dernière leur est familière, même si nous parlons ici de scène rock, pas d’un théâtre à Broadway où vous êtes l’énième maillon d’une chaîne organisée. Certes, ils savent éviter la pose et c’est peu dire qu’ils sont flamboyants. Les deux frères occupant de surcroit des rôles bien différents. À Brian, celui du musicien – compositeur – pénétré par son art, aspect qui ne l’empêche nullement de se lancer dans des soli mémorables. À Michael, celui du chien fou au charisme indéniable tant et si bien que l’on se dit que l’étape supplémentaire sera pour chacun la carrière solo. Peut-être. Ou peut-être que non.
Là n’est pas la question. Les Twigs sont un tout. Un bloc homogène, solide, cohérent. Difficile d’ailleurs de reconnaître les chansons de l’un ou de l’autre, encore que. Au-delà de la question du chant, on perçoit chez Brian un romantisme touchant, et chez Michael un caractère plus tourmenté qu’il n’y parait. Sur scène, le duo accompagné d’un bassiste claviériste et d’un batteur, s’échange les instruments, autant dire que le spectacle est total. Mais pour répondre à la question innocemment posée dont nous connaissons la réponse pour l’avoir constatée sur place, ce qui rend les Lemon Twigs exceptionnels en live, c’est l’enthousiasme qu’ils soulèvent. Chez eux, pas de froideur compassée, de minimum syndical, de décalque idiot de leurs chansons même si la restitution de morceaux aussi arrangés peut surprendre, en bien. Aller voir les Lemon Twigs, c’est avoir l’assurance de partir à une fête dont on sait à l’avance qu’elle sera réussie. Plusieurs raisons à cela. D’abord – et la setlist ne le démentira pas – cette invraisemblable enfilade de tubes. Dès le début on est sonné. The One, In My Head, Live In Favour Of Tomorrow. Chacun de ces trois hits est joué avec une puissance à la hauteur de son pouvoir mélodique. On ne fera pas l’offense de citer tous les autres, pas tant parce qu’ils furent disséminés tout au long du show, mais parce que les Twigs ne s’arrêtent pas à ce critère pourtant structurant dans l’existence d’un groupe pop. Au passage, il faut surveiller les réactions quasi épidermiques du public – des jeunes, des vieux, c’est important de le préciser – pour constater cet engouement. La foule reprend les paroles qu’elle connaît bien évidemment par cœur – l’effet tube, forcément –, mais dévotion et folie ne s’arrêtent pas là. Dans les balcons du Trianon, les gens debout, dansent littéralement. On est revenu cinquante ans en arrière, dans un bon vieux concert de rock’n’roll, à une époque bénie où les instagrameuses et influenceurs n’existaient pas encore, pour l’amour de Dieu !
Pour arriver à un tel résultat, il faut le don de l’écriture, nous l’avons dit, et l’universalité. Encore faut-il y ajouter la générosité, et les Twigs en ont à revendre. Une vingtaine de morceaux joués, dont trois en rappel. Une reprise émouvante des Left Banke, I've Got Something On My Mind, des sauts dans tous les sens, de la virtuosité mais sans esbrouffe et des moments de communion. Car que serait un concert sans sa levée de briquets. Ce rituel parfois ridicule trouve une poignante incarnation lorsque Brian revient sur scène, seul, avec sa guitare acoustique et entame un When Winter Comes Around dépouillé, tout en arpèges cristallins. À ce moment, on songe aux artistes de Laurel qui foulaient les planches du Troubadour au tout début des années 70. Sans laisser retomber l’émotion vive qu’il vient de susciter par la seule force de son talent, l’aîné des D’Addario poursuit avec un royal Corner Of My Eye. Pour finir, une fois le combo revenu, avec Rock On dont la Toile se demande encore de quelle reprise il s’agit. Mauvaise pioche, encore une composition personnelle de la fratrie, prouvant à quel point celle-ci dépasse le concept du groupe pour se muer en corne d’abondance.
Contrat rempli. On ressort avec des étoiles dans les yeux, le sourire aux lèvres et des commentaires plein la bouche qu’il convient de partager entre camarades de geekerie pop. Des souvenirs aussi. Un sentiment d’avoir été là au bon moment. D’avoir vécu, plus qu’une expérience humaine, a moment in time comme disent les Anglais, mais plutôt au sens gaullien du terme, un moment unique donc. Certes on pourra se dire qu’ils ont un côté singes-savants, que leur génie tient à cet opportuniste coup de projecteur donné à la pop mélodique et harmonique, et surtout à tenter toutes les hybridations possibles, de Simon & Garfunkel à T. Rex en passant par ELO. Ces gars-là osent tout en démentant Michel Audiard, et n’ont peur de rien. On dirait les fameux Z-Boys de Venice, les Stacy Peralta, Jay Adams et Tony Alva, ces skateurs frondeurs ayant posé les bases du ride moderne en recyclant les figures du surf. Des malins donc. Comme nos brindilles dont nous souhaitons, main sur le cœur, qu’ils s’enracinent définitivement tels des chênes massifs dans leur époque.
Les Lemon Twigs au Trianon, 25 mai 2023
Photo de ©Marion Ruszniewski :
https://www.marion-photographie.com
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