En France on les a longtemps considérés comme des personnages de Dino Risi inversés : affreux, sales mais gentils. Trop. Ce sont les hippies. Dutronc en fait un cinglant portrait, non sans talent d’ailleurs, dans sa chanson Hippie Hippie Hourrah en 1967. En 1969, Barbet Schroeder en dresse un portrait terrible, cynique, drogué, dans son film More, brillamment illustré par Pink Floyd. Si bien qu’avec le temps, une image, légèrement fausse, s’est figée dans l’ambre des mémoires. Formation acid-folk anglaise de la fin des sixties – comprendre l’après Sgt. Pepper’s – l’Incredible String Band se voit assimilé à ces tribus de traine-savates paresseux et débraillés. Certes, ses deux têtes chercheuses, Robin Williamson et Mike Heron, on fait le voyage jusqu’au fin fond du Moyen-Orient, rapportant de leurs pérégrinations quantités d’instruments exotiques que ces deux fins musiciens souhaitent incorporer à leur musique en gestation. Leur nouveau répertoire s’y prête, autant que l’époque qui l’autorise. Mais alors, hippies ou pas ?
Pour y répondre, commençons par dire qu’en réfléchissant de la sorte, on pose sans doute la mauvaise question. À partir de 1967, de McCartney à Eric Clapton en passant par Marc Bolan, Syd Barrett, Kevin Ayers, Daevid Allen, Jimmy Page, tout le monde est hippie. Hippie c’est d’abord une attitude, négligée à Frisco, romantique à L.A., étudiée à Londres. Musicalement on suit la même logique. Le rock de la baie sonne plus anarchique, languide, mouvant, sans le squelette du songwriting (pas toujours d’ailleurs). Au Sud, le rock hippie est multiforme mais toujours propre, bien arrangé. À Carnaby Street, il est infiniment poseur donc séduisant. Et l’ISB dans tout ça ? Ils sont sans doute les premiers à systématiser l’usage du sitar indien et de l’oud marocain. Forcément, leur formation se veut purement acoustique ! Exit donc les soli peinturlurés de wah-wah des Cream et consorts. Certes, leur mode de vie se veut rapidement communautaire, avec ses clichés, ses excès. L’Incredible String Band demeure cependant inclassable. Des premiers pas en 1966 avec Clive Palmer jusqu’à l’acmé de l’année 1968. C’est sur The Hangman's Beautiful Daughter qu’ils poussent le plus loin possible leur pot-pourri de folk psychédélique et d’épopées hindouistes. Plus déroutant apparait Wee Tam & The Big Huge.
Selon les pays et les pressages, cet enregistrement passe du simple (Wee Tam d’un côté, The Bige Huge de l’autre) au double Lp. La cohérence de la musique qu’il propose plaide pourtant pour le format double. Et puis, c’est à la mode en ce moment (Le White Album et Wheels of Fire pour ne citer qu’eux). Les longues suites acides sont une fois de plus au rendez-vous et si la lutherie semble plus modeste que sur le précédent album, elle conserve de son mystère et de sa mystique. Le thème du disque y est pour beaucoup. Cependant, à lire ces lignes, on pourrait vite se méprendre. Si l’on met de côté les chansons purement folk, au style traditionnel, si l’on oublie les quelques divagations baba qui ne sont pas dénuées d’intérêt, on conservera ces chansons, longues ou courtes, qui ramènent le duo dans le giron d’une pop folk aux mélodies haute-couture. C’est sur le premier disque, Wee Tam, que ce parti-pris de simplicité mélodique et bucolique s’exprime le mieux. Et même quand le sitar intervient, il ne vient jamais polluer le propos ou le détourner. Il sonne même aux abonnés absents sur Job's Tears. La beauté limpide du thème, le chœur féminin en doublon, la structure du morceau en deux parties, son côté comptine, suffisent à délimiter un cadre à la chanson qui demeure, de bout en bout, un délicieux instantané de la fin des sixties, dans leur versant hédoniste et innocent. L’ISB a toujours était fasciné par une certaine dimension enfantine que l’on retrouve ici. Puppies qui affiche le goût de nos musiciens pour les colifichets exotiques, ne perd jamais de sa magie naturelle. Sans doute parce que Mike Heron – tout comme Robin d’ailleurs – s’avère un songwriter inspiré, maîtrisant son art.
L’instrumental Beyond the Sea avec son duo d’orgue et de clavecin est une charmante divagation entre deux titres plus consistants. Dans l’esprit, il ne dénote pas avec You Get Brighter, imperturbable face aux Krishna entonnés à la toute fin. Ducks on a Pond clôt ce premier disque de la plus brillante des façons, n’oubliant pas la féérie des nursery rhymes. On pense immédiatement au Syd Barrett de The Gnome, dans une moindre mesure au Marc Bolan du premier Tyrannosaurus Rex, au Nirvana anglais des années 67-68 et bien sûr à Donovan. Même innocence, même joliesse, même concision au-delà de la longueur. Malgré ces neuf minutes bien comptées, Ducks on a Pond multiplie ces airs que l’on adore siffloter. Quant aux arrangements, ils n’alourdissent jamais cette tapisserie de Bayeux musicale. Sur The Big Huge, les moments de grâce adolescente sont moins nombreux, ils n’en restent pas moins présents et mémorables. Citons le bref The Son of Noah's Brother, le brinquebalant Lordly Nightshade et le très pop Cousin Caterpillar.
S'il fallait coller une étiquette à cet album, et dieu sait que celles-ci sont hasardeuses, pour ne pas dire réductrices, on parlerait bien de Pale Sunshine Folk. À chacun d’apprécier ou non l’utilité voire la pertinence de cette assertion. Et pour se faire une opinion, il suffit d’écouter Wee Tam & The Big Huge et ses trois devanciers. Allez-y en confiance, vous n’en sortirez pas hirsute, bariolé et en sandales. Il se peut cependant que vous serviez le thé dans la plus délicate des porcelaines.
The Incredible String Band, Wee Tam & The Big Huge (Elektra)
Wee Tam :
https://www.deezer.com/mx/album/687040
The Big Huge :
https://www.deezer.com/mx/album/687039
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