CCR en eaux troubles

par Adehoum Arbane  le 30.05.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Comme l’adolescent mal dans sa peau, le musicien se cherche. Cette vérité toute faite paraît dérisoire, sinon banale mais elle n’aura jamais autant collé à un groupe : Creedence Clearwater Revival. On pense que la célèbre formation est née en chemise de bûcheron, taillant des hits à la hache mais il n’en est rien. On passera sur les prémices où nos quatre jeunes musiciens se font appeler les Blue Velvets, puis les Golliwogs, patronyme vaguement dans l’air du temps avant de statuer pour Creedence (piqué au copain de John Fogerty, Credence Newball) Clearwater (inspiré d’une publicité pour une bière) Revival (dont l’origine semble intraçable). Ce Revival finira par définir l’esprit même de leur musique, réinvention parfaite et quelque peu décalée (CCR démarre au beau milieu de l’ère hippie) de ce bon vieux rock’n’roll mâtiné de blues. 

Après une signature chez Fantasy Records (merci Saul Zaentz), le groupe entre en studio à l’automne 67 ; le summer of Love vient de s’achever avec quelques albums mémorables. CCR n’en a cure qui décide de poursuivre son bonhomme de chemin. Le groupe enregistre son premier album en cinq mois, ce qui semble beaucoup pour des débutants. Tout ce qui fera le sel de Creedence est déjà. Les reprises judicieuses, les revisitations entraînantes, la voix puissante et gouapeuse de Fogerty, son jeu de guitare tranché, tout en trémolos électriques. La folie aussi. Et ce goût pour les vieux standards, nous l’avons dit, mais au-delà pour une vision pure, intransigeante du rock. Point de falbalas, de simagrées acides, Creedence s’affirme comme un orchestre à la musique authentique et ce n’est pas Ninety-Nine And A Half ou Get Down Woman qui dira le contraire. Pourtant, de cette musique boisée sourd une dissonance, un sens du drame qui n’a rien à envier à ce que produisent des groupes largement en vue comme le Jefferson Airplane ici, à San Francisco, ou Buffalo Springfield à Los Angeles. 

L’album démarre dans les larmes et (le sang et) les cris, un écho trouble brisé par un roulement de baguettes sec et aride qui prépare le terrain au riff massif que va assener Fogerty dont on oublie un trop vite qu’il fut l’un des grands guitar heros de son temps. I Put A Spell On You reste sans nul doute la meilleure version de ce classique éternel, signé Screamin’ Jay Hawkins. Oui, Creedence nous jette d’emblée un sort, talonnant sans honte et avec dignité les tenants de l’Acid Rock san franciscain. D’ailleurs sur la pochette, le groupe teasait à mort, avec son beau lettrage psychédélique et les splendides habits militaires façon Sergent Poivre de John, Stu et Doug. Seul Tom Fogerty joue cavalier seul avec sa veste à frange rappelant le futur style trappeur de Crosby. Entre les mains du jeune groupe, I Put A Spell On You est une formidable chanson désespérée, vibrante et mélancolique, tourbillon de décibels emportant l’auditeur dans une dimension lointaine. Mais le meilleur est à venir. 

Sur la même face, après un bon vieux rock rassurant, tout de même écrit par Fogerty, vient Suzie Q. Chanson de Dale Hawkins, Creedence la métamorphose en chanson chamanique. Même les Doors ne peuvent rivaliser sur ce terrain vaudou. Le psyché du Bayou, c’est la formule que crée alors CCR sans pour autant lui donner une suite. Enfin si. Après ces huit minutes épiques, pleines de cavalcades en soli alanguis, le quatuor revient à la charge en face B, si l’on ose dire, avec deux morceaux en guise de point final. Gloomy et Walk On The Water. Avec son titre au combien explicite, Gloomyannonce la couleur. Sur une structure de blues relativement conventionnelle, Fogerty écrit des chorus insondables. Les effets de bande inversée, procédé relativement classique révélé notamment par Hendrix sur Castle Made of Sand, donnent à ce titre « cafardeux » des notes psychédéliques inattendues parce que relativement naturels. Surtout, ils arrivent non pas en surplomb mais en sourdine et repartent aussi vite qu’ils sont arrivés. Cette idée simple accentue encore plus le mystère de la chanson qui offre à Fogerty une excursion en terrain lysergique, tout en restant économe de ses moyens (la philosophie du bonhomme). Walk On The Water, de par son titre équivoque, fait songer à quelque image christique comme le gospel en proposait beaucoup. Chanson de l’ère Golliwogs, cette marche limpide conclut l’album da manière solennelle mais prenante. Là aussi, les effets discrets font tout. Ils ne masquent jamais la beauté de la mélodie (surtout sur le refrain) et propulsent la chanson dans la stratosphère. Quand Fogerty part dans un chorus, l’esprit de l’auditeur, ainsi attrapé, s’égare dans les nébuleuses électriques. Encore une fois et dès leur début, les musiciens de Creedence façonnent un objet non identifié, pas fondamentalement planant au sens où on l’entend à l’époque mais suffisamment audacieux et aérien – les fameuses arabesques ciselées par Fogerty qui était au fond plus un dentelier qu’un bucheron. 

En trente-quatre petites minutes, CCR vient de créer la sensation. Le soufflet ne va évidemment pas retomber puisque le suite installe le groupe au panthéon des plus grands, avec son lot de tubes imparables au premier rang desquels figure l’inusable Proud Mary. De cette incartade, le groupe conservera sur certains morceaux un bourdon dissonant, ce sens de l’horizontalité que rien ne vient perturber. En témoignent des chansons comme Born On The BayouKeep On ChooglinFeelin' Blue ou encore le suintant et vietnamien Run Through The Jungle. Preuve que derrière le Revival brillait le soleil de la modernité. 

Creedence Clearwater Revival, Creedence Clearwater Revival (Fantasy Records)

ccr-couv.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=M5x02GWp8jU

 

 

 

 

 


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