Matías Pizarro, jazz ma tasse

par Adehoum Arbane  le 18.04.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

Le jazz serait la musique de nos vieux jours. Une inclination venue tout naturellement avec la maturité, quand les échos lointains et dissonants des guitares font place aux feulements des saxophones, aux radiantes pluies de piano. Tout ceci, bien qu’agréable, sent un peu la fin. Le terminus. La voie de garage pour corps fatigué. Alors que non. Le jazz est non seulement un genre qui s’est perpétuellement réinventé ou régénéré, mais il a su trouver par-delà les frontières états-uniennes des incarnations différentes, singulières, parfois même étonnantes. On ne fera pas l’insulte à l’histoire en citant le jazz anglais dont les multiples ramifications, les hybridations heureuses, notamment au sein de la famille prog – hé oui, les punks ! –, ont prouvé sa valeur. Plus étonnant et donc intéressant s’avère le jazz sud-américain. 

On objectera à juste titre que l’Amérique du Sud étant un vaste continent, la citation reste un peu légère. Alors précisons quelque peu notre pensée. Et focalisons-la sur un pays, l’Argentine. Mais là encore, les frontières géographiques sont aussi brouillées que celles musicales d’un genre qui, en ces années soixante-dix, n’en finit plus d’expérimenter. Telle est l’histoire dans la grande de Matías Pizarro, pianiste chilien qui en ce mitant des seventies fait un stop, heureux, à Buenos Aires, après avoir fui le régime de Pinochet. Dans cette citée fourmillante, il se frotte à la scène locale et assemble un groupe hétéroclite avec deux de ses héros, Jorge López Ruiz et Pocho Lapouble en autres. Un autre chilien le rejoint, puis un bassiste suédois, un saxophoniste uruguayen. On vous épargnera les noms mais tous sont des musiciens accomplis s’exprimant au mieux dans ce collectif qui donnera naissance en 1975 à l’album Pelo de Rata. Ce n’est pas là sa moindre qualité. C’est la diversité du disque, dans le style très à la mode du Jazz Fusion, qui étonne dès la première écoute. Et la liberté – car oui la liberté ! – dont le groupe fait preuve, passant de la bossa au jazz électrifié façon Miles, de l’instrumental à la chanson, sans se soucier de la cohérence, qui n’est ici pas entravée au contraire. La musique s’écoule comme une mousson rassurante, manière de tempérer les ardeurs tropicales qui rappellent cette fameuse pochette du Weather Report de 1977, sobrement appelé Heavy Weather

Dans le détail, cela donne cette explosion sensuelle contenue dans les presque six minutes du morceau titre, Pelo de Rata. S’y engage un duel inextricable entre les Fender de Pizarro et le sax sexe de Héctor "Finito" Bingert, le fameux suédois. Après le court interlude de Anamlor, ambiance singer-songwriter au piano, le groupe enchaîne avec le long Perro Que Ladra No Muerde. L’entame à la guitare acoustique, sur un mode flamenco, sur laquelle se pose la voix de Pizarro nous renvoie au meilleur de la pop italienne, on pensera à Lucio Battisti dans une moindre mesure. Le jazz reprend très vite ses droits avec un chorus impérial de Pizarro. Le morceau est servi par une batterie puissante et féline lui donnant des airs d’hymne grandiose. Le saxo rompt alors cette solennité pour guider la chanson ailleurs, dans une course folle à la beauté. Le chant refait surface, enrubanné de flûte pour un final mélodique des plus mémorables. Una Flor Tras La Montañavient refermer cette première face sur une note plus apaisée, chantée aussi, pour un résultat heureux. 

Dans un second temps, celui de la seconde face, le piano acoustique de Pizarro revient dans une tonalité cristalline, parfois blues, mais toujours mélodique. Secuencia s’avère une ballade néo-classique qui aurait pu figurer sur un album de Coltrane période Atlantics ou Impulse, quelque part en 61, 62, 63. Accalmie qui prépare le terrain à la pièce maîtresse de l’album, Nordeste, œuvre somme d’un album qui l’est tout autant. Caressé de percussions, ,noué par la basse, le thème trouve sans cesse son chemin, promettant dans ces premières minutes de s’échapper, et ce pour notre plus grand bonheur. Vœu qu’il réalise au bout de cinq minutes avec l’entrée du piano électrique qui, comme sur la face a, joue des coudes avec le saxophone. Ce somptueux dialogue entre les deux instruments, nous y assistons avec une joie indicible, fasciné par cette alchimie naturelle, celles des hommes, des idées, de la virtuosité non pas gratuite mais délivrée à bon escient. Dans ses moments les plus free, le morceau donne l’impression de faire une relecture tropicaliste du Matching Mole de Wyatt. L’album se clot sur Do Y Sol, titre brut et magistral. La mélodie n’a jamais abandonné le dessein de Matías Pizarro, chilien exilé, musicien exfiltré. Pour un talent magistralement exprimé. Merci Pinochet !

Matías Pizarro, Pelo de Rata (Promúsica)

pelo.jpg

https://www.youtube.com/watch?v=hFzMrImIDhU

 

 

 

 


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