Personnage iconique du cinéma des années 80 – mais paradoxalement, héros de l’entre-deux-guerres – Indiana Jones a deux incarnations que nous connaissons tous. D’un côté, le professeur tiré à quatre épingles, chaussé de ses savantes lunettes. De l’autre, l’aventurier reconnaissable entre mille avec son chapeau mou, sa veste en cuir patiné, son revolver et son fouet. D’un épisode à l’autre, il endosse ces deux uniformes – le second surtout ! – qui ont fini par définir, plus qu’un style, une personnalité, mieux, une force intérieure, une sorte de cool. Cet artifice scénaristique se voit décliné sous plusieurs formes. Ainsi retrouve-t-on le chapeau à des moments clés : le prolongement d’une silhouette de dos dans la scène d’introduction des aventuriers de l’Arche Perdue. Le signe d’un renversement de situation dans la scène du Temple Maudit où Indy, après avoir été drogué, retrouve ses esprits et s’attaque aux Thugs. Le symbole d’une passation initiatique dans le prélude de La dernière croisade. Enfin, le même chapeau saisi par une main et vissé sur une tête dont on devine l’ombre dans Le royaume du crâne de cristal. Ajoutons à ce court inventaire sériel un pendant français. Le personnage de Bertrand Morane, dans L’homme qui aimait les femmes de François Truffaut, possède des attributs identiques, soit une veste en cuir cintrée qui ne le quitte pas et qu’une chemise cravatée ou un simple col roulé beige vient compléter.
Le rock n’est pas étranger à cette linéarité. La chemise bucheron de Neil Young, les gilets sans chemise de Robert Plant, les tenues militaires de Hendrix, le pantalon en cuir de Morrison, les lunettes de soleil de John Kaye, le boa de Janis, le bonnet en laine de Michael Nesmith, chez nous les Repetto de Gainsbarre (lui avait l’uniforme complet, chemise et pantalon en jean, blazer croisé et rayé), la marinière de Jonathan Richman et les lunettes rondes de Robert Fripp. Pour ce dernier, le cas est… Délicat. Fripp malgré son patronyme n’est pas un parangon de mode, encore moins de pose. Alors que l’époque qui l’a vu naître – les 60s-70s – peut se targuer d’avoir ouvert les esprits en matière d’attributs vestimentaires. Robert Fripp est un musicien au sens chimiquement pur du terme. Il n’a que faire du décorum, seule compte la Musique, la sienne en l’occurrence, celle qui explosera dans une déflagration de saxophone le 10 octobre 1969 ; nous parlons de premier Lp de King Crimson, In The Court Of The Crimson King. Pour autant, Fripp possède une certaine attitude qui le distinguera des autres guitaristes de son temps tout comme Indiana Jones qui n’était un pas un archéologue parmi tant d’autres. Si les deux hommes ont quelques flagrantes et dissonantes différences, on observe quelques ressemblances.
Celles-ci tiennent au caractère évoqué plus haut et symbolisé – chez Indiana Jones donc – par sa dualité vestimentaire. Le professeur sérieux, l’aventurier peu respectueux de la déontologie scientifique. Robert Fripp est un concentré des deux. Il y a le professeur ès guitare, le petit homme derrière ses lunettes rondes, souvent assis sur un tabouret lorsqu’il se produit sur scène et l’aventurier qui emmena loin le vaisseau Crimsonien. C’est sans doute Red, enregistré entre juin et août 1974 et sorti le 6 octobre de l’année, qui incarne le mieux cet oxymore caractériel. De prime abord, lorsqu’on considère l’album dans son ensemble, on retrouve ou découvre même d’ailleurs une certaine froideur mathématique (que l’homme déclinera à l’avenir). Red, le morceau titre qui ouvre l’album, aurait pu aussi bien s’intituler « Raide » tant il s’impose comme un coup de semonce. Car la suite sera bien évidemment à l’avenant. Alors que Fallen Angel s’annonce comme une ballade presque bucolique, le cliffhanger guette jusqu’à faire basculer la chanson dans un drame instrumental au solo inextricable. One More Red Nightmare joue sur la même ambiguïté mais à un autre plan. Un thème d’ouverture parfaitement millimétré et une double séquence dédiée aux soli (le saxophone de Ian McDonald surtout) où le musique semble se perdre en conjecture tout en conservant de sa maîtrise. Approche scolaire, technique et improvisation se mêlant de façon astucieuse et homogène. Providence s’impose comme le morceau le plus en roue libre, sorte de réponse – live ! – au Moonchild du premier album. Starless referme l’ensemble et nous laisse comme après le visionnage d’un Giallo. Fasciné et terrifié. Là encore, le contrôle n’interdit pas l’ouragan émotionnel.
Il est étonnant d’ailleurs d’observer l’évolution de Fripp des débuts jusqu’à aujourd’hui. C’est peu dire que l’homme n’a pas trop changé d’allure, ravages du temps mis à part. S’il a arboré la traditionnelle chevelure dite "afro" comme d’autres avant lui, il l’a vite laissée de côté au profit d’une coupe moins hippie, plus sérieuse donc, et des vêtements moins bariolés. Sur la pochette de Red on ne devine certes que son visage mais lui et ses deux comparses semblent tout droit sortis d’une séance photo actuelle. Pour le reste, il a traversé les années 70 en t-shirt noir, a passé le cap des 80s en chemise blanche cravate et gilet noirs, les années 90 en chemise col Mao boutonné, excusez du peu, tel un mormon entièrement dévoué à son art. Et l’équation musicale, elle, de suivre cette ligne – stylistique et géométrique d’ailleurs ! Pardonnez la métaphore fort logiquement filée.
Robert Fripp de King Crimson, Red (Island)
https://www.deezer.com/fr/album/78808822
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