Si le mot valise de Blacksploitation ou Blaxploitation revêt un caractère plus politique – il s’agissait dans les années 70 de revaloriser l’image des afro-américains dans le cinéma de divertissement – l’expression a connu des déclinaisons plus circonstancielles pour ne pas dire conjoncturelles. Ainsi, la Hippie exploitation ou Psychsploitation, voire Psyxploitationa-t-elle constitué un genre non négligeable de la contre-culture américaine. Le fait est que sa contribution à l’industrie du cinéma et au lancement de ce que l’on appellera Le nouvel Hollywood n’aura pas laissé un souvenir impérissable, pour ne pas dire une trace significative dans l’histoire. Si “Easy Rider” correspond à un jalon, encore que sa valeur purement esthétique semble parfois contestée dans les cercles cinéphiliques, d’autres films ont rapidement plongé dans les culs de basse-fosse de la reconnaissance, quand bien même leurs noms clignotent encore comme les enseignes du Sunset Strip, éveillant ainsi notre curiosité. “The Trip”, “Riot On Sunset Strip”, “Wild In The Streets”, “Hallucination Generation”, “The Love-Ins” et surtout “Psych-Out”, avec Jack Nicholson en faux guitariste hippie, ne possèdent cependant pas les qualités de leur cadet qui reçut à Cannes le Prix de la première œuvre des mains de Visconti.
Il se que la musique a connu une évolution similaire, toutefois moins identifiée comme telle. Alors que le Summer of Love bat son plein, une nouvelle génération dans le sillage des Beatles réinvente les codes du rock, parant ce dernier des atours de ce qui deviendra le psychédélisme, aussi appelé du côté de San Francisco Acid-Rock. Cette musique émancipée des carcans de la pop se veut alors la traduction sonore de l’expérience acide, c’est-à-dire de la consommation de LSD. Si le psychédélisme se cristallise, si l’on on dire, à San Francisco puis à L.A., il contamine très vite la Californie et toute l’Amérique. Des groupes surgissent, certains se faisant rapidement connaître comme le Jefferson Airplane, le Grateful Dead, Quicksilver Messenger Service et Big Brother & The Holding Company qui expose pour la première la jeune et volcanique Janis Joplin, d’autres restant confinés dans les recoins de la confidentialité. À L.A., le rock psyché est moins constitutif d’un genre qu’un ingrédient de plus permettant à de jeunes formations comme Spirit, Love ou encore les Byrds des débuts, d’élargir leur horizon créatif. Certains groupes poussent les curseurs de l’expérimentation plus loin, proposant une vision cauchemardesque du psychédélisme à l’image de St. John Green, groupe installée en communauté dans le vallée de San Fernando et dont l’unique album en 1968 hantera longtemps ceux qui oserons s’en approcher. Ce jusqu’auboutisme musical et bien souvent drogué a eu pour effet, tout comme la production cinématographique jumelle, d’effrayer les honnêtes citoyens qui voyaient cette contre-culture d’un très mauvais œil.
En effet, Hollywood s’est lancé dans l’exploitations de films hippie ou d’horreur hippie, extrêmement sordides, exacerbant perfidement la dimension subversive du psychédélisme, soit par intérêt commercial soit en se parant de la vertu morale en se faisant passer pour de faux messages d’avertissement de service public. Nous sommes deux ans avant les crimes de la Manson Family mais il plane déjà en 67 une angoisse latente liée au mode de vie des hippies de Haight Ashbury. Dans les films, ces derniers sont dépeints comme des fous se vautrant dans des orgies de sexe, de drogue et parfois de meurtre, bien loin des bonnes vibrations rock. Il fallait une réaction. Celle-ci viendra de la télévision (souvenons-nous que les Monkees sont au départ un groupe de circonstance créé pour un show télé) et surtout des labels. Il s’agit de montrer un tout autre visage du psychédélisme, plus sage, plus serein, plus présentable donc acceptable pour la jeunesse et ses parents. C’est dans ce contexte trouble que surgissent les Strawberry Alarm Clock. Bien que figurant dans la BO de Psych-Out aux côtés des Seeds, les S.A. Clock sont en fait la réunion de deux groupes, Thee Sixpence et Waterfyrd Traene. Leur préhistoire est peu documentée, cela tient au fait que ces groupes n’ont que peu enregistré – seul Thee Sixpence a gravé quelques 45 tours, des reprises pour la plupart –, se contentant d’écumer les clubs locaux comme nombres de formations proto-psychédéliques avant eux. “Incense and Peppermints” devait sortir à l’origine pour Thee Sixpence sur le label All American. La chanson sera réenregistrée par le nouveau groupe au nom plus conforme à l’air du temps et sera publié par UNI, sous marque de RCA. Cette signature providentielle permet une distribution nationale, et le groupe de connaître d’emblée un immense succès commercial, le single se hissant en une semaine à la première place du Billboard Hot 100 !
Un premier Lp est rapidement mis en boîte qui reste numéro 11 du Billboard 200 vingt-quatre semaines durant. Des changements de line-up s’opèrent au moment où le groupe enregistre son deuxième album, le bien nommé Wake Up… It’s Tomorrow. Relativement semblable au premier et malgré un single efficace, Tomorrow, il ne réitère l’exploit de son devancier. Avec ses colifichets psychédéliques – sitar, tablas, flûte, marimba, orgue acide et guitare gentiment fuzz –, les disques de S.A. Clock correspondent parfaitement à l’idée que l’on peut se faire d’une musique faite pour rassurer le chaland. La pochette de Incense and Peppermints de dément d’ailleurs pas cette promesse. On voit le groupe formidablement habillé à la mode hippie toc, pieds nus, vautré dans des coussins du même goût. Cette ambiance artificielle n’est pas sans rappeler l’artwork cartoonesque de la série populaire des seventies, “The Brady Kids” ! Pour autant, ce premier disque commence par une longue suite dantesque, “The World's on Fire” et place son single phare en avant-dernière position. Sur Wake Up… It’s Tomorrow, le procédé n’est pas renouvelé de manière identique, il n’en demeure pas moins que le titre du premier morceau surprend (“Nightmare of Percussion”), marquant une rupture de ton avec la Sunshine Pop dont ils sont des ambassadeurs évidents. La face A se termine sur le tentaculaire “Curse of the Witches”. Entre les deux, une phase d’accalmie pop offrant au groupe de briller dans le registre mélodique avec “Soft Skies, No Lies”, “Tomorrow” et “They Saw The Fat One Coming”. La seconde face enchaîne sur la parfaite pop song californienne, “Sit With The Guru” et son refrain délicieux. “Go Back (You're Going the Wrong Way)” et surtout “Pretty Song from Psych-Out” glissent progressivement, exprimant un sentiment de mélancolie inhabituel s’agissant des S.A. Clock. Avec ses accents dramatiques, “Sitting On A Star ouvre la voie à la suite “Black Butter : Past, Present, Future”.
C’est précisément cet équilibre entre pop lumineuse et moments de folie qui sauve les S.A. Clock de la mièvrerie comme préfiguration de l’accord parental. Cette caractéristique distingue le groupe de la concurrence dont le Mystic Astrologic Crystal Band (et ses deux albums en 67 et 68) constitue le parfait exemple (quasi opposé). Eux peuvent pour le coup être taxés de groupe Psychsploitation, même si leur tropisme beatlesien les classe ailleurs. Détail qui n’enlève rien aux qualités de ces deux disques qui comportent leur lot de mélodies accrocheuses, de ritournelles acides usant des mêmes clichés (percussions, sitar, clavecin). Sur la pochette du premier disque, le M.A.C.B. pose dans des habits bien clinquants et il faut compter sur l’effet loupe créé par le photographe pour se faire une éventuelle idée du contenu. En revanche, sur le second et comme les S.A. Clock, le groupe capitalise sur l’illustration, même s’il y figure en incrustation ! Des morceaux comme “The M.A.C.B. Theme”, “Sunbeams and Rainbows” ou encore “Yellow Room” autorisent cependant un rapprochement conceptuel avec les S.A. Clock. Pour en revenir à ces derniers, ils produiront deux ultimes albums, l’un en 1968 (The World In A Sea Shell qui est le prolongement de Wake Up… It’s Tomorrow), l’autre en 69 (Good Morning Starshine) qui voit l’inspiration et la fraîcheur des idées décliner.
L’épilogue à cette papillonnante aventure est plus étonnante. Membre fondateur du groupe, Ed King rencontre à Jackson ville, lors d’une tournée, les futurs musiciens de Lynyrd Skynyrd. Le courant passe. Aussi quand les S.A. Clock perdent leur contrat avec UNI et se séparent, King décide de quitter sa Californie natale pour le Sud. Les Lynyrd viennent de se former et King supplie alors Ronnie Van Zant de l’enrôler, ce qu’il fera. King prend la basse, la place ayant été laissée vacante suite au départ de Leon Wilkeson. Ce dernier regrette et revient dans le groupe mais Ronnie Van Zant a l’idée de faire de Ed King le guitariste soliste aux côtés de Allen Collins et Gary Rossington. Ces trois-là formeront la fameuse “Three Guitar Army” qui fera la réputation scénique du groupe. Comble de l’ironie, suite à la sortie du single “Alabama” de Neil Young, Lynyrd Skynyrd alimentera une fausse rivalité médiatique avec le Loner, taxé de hippie, guerre des nerfs qui servira les futurs singles du groupe dont “Sweet Home Alabama” sur Second Helping. Lynyrd Skynyrd vivra les affres de la popularité malgré les coups de poignard du destin – un crash en avion aura raison de Ronnie Van Zant, Steve et Cassie Gaines. Ed King qui avait quitté le groupe après la sortie de leur troisième album, n’aura pas connu ce sort tragique. Il co-signe une composition sur (Pronounced 'Lĕh-'nérd 'Skin-'nérd), le très efficace “Poison Whiskey”, loin des falbalas du S.A. Clock. Paradoxalement, Lynyrd Skynyrd posera les bases de la power-ballad sucrée à la Guns N’ Roses avec “Tuesday's Gone”, “Simple Man” et “Free Bird”. Comme quoi, l’encens et la menthe poivrée n’étaient pas très loin.
The Strawberry Alarm Clock, Wake Up… It’s Tomorrow ! (UNI)
https://www.youtube.com/watch?v=IW0J_kgwrA8
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