Peter B. Hammill

par Adehoum Arbane  le 21.02.2023  dans la catégorie C'était mieux avant

1971, Peter Hammill devance de trois ans un autre Peter, Gabriel pour sa part, dans son envie d’une échappée en solo. La similitude ne saute pas aux yeux, elle est pourtant frappante. Entre 69 et 70, l’activité de son groupe, Van der Graaf Generator, est intense. Les musiciens enchaînent périodes d’enregistrement en studio et tournées dans toute l’Angleterre. Hyper productif, le groupe sort ses deuxième et troisième Lp la même année. En 1971, le rythme s’accélère et VdGG se produit en Allemagne, en Italie où il s’avère extrêmement populaire et en France. Éreinté et déçu par la sortie de Pawn Heart qui devait être leur magnum opus – un double album à l’origine ramené à un sous la pression de leur label Charisma – et reçoit un accueil mitigé à domicile alors que l’Italie continue de faire les yeux doux au groupe, Peter Hammill dit stop. Mais momentanément. 

Le groupe se met en veille et Hammill entre en studio pour graver son vrai premier album solo – ce devait être The Aerosol Grey MachineFool’s Mate est bouclé en quelques jours, nous sommes fin avril 71, et sort en juillet. Si le Melody Maker en fait l’un de ses albums de l’année, le succès n’est pas encore plein et entier. Certes, Hammill ne sort pas des canons de Van der Graaf dont l’intégralité des musiciens se retrouve d’ailleurs au générique du disque. On y trouve aussi Rod Clements et Ray Jackson de Lindisfarne, véritable locomotive de Charisma dont le succès finança les albums de leurs petits camarades du prog (VdGG et Genesis). D’une structure plus pop – l’album compte douze vraies chansons –, l’esthétique Van der Graafienne n’est pas pour autant gommée. Malgré ces fondamentaux, ce premier opus sonne différemment, du moins installe-t-il Hammill dans la figure d’un Cecil B. DeMille pop (ou prog, selon qu’on se place dans une perspective macro ou micro artistique). De B. DeMille, Peter emprunte bien évidemment la boulimie créative, qui lui inspirera une carrière féconde. Mais ce n’est pas tout. Comme le célèbre nabab hollywoodien, Hammill pour Fool’s Mate embrasse une vision historique. À plus d’un titre, pardonnez la boutade ! 

Il y a tout d’abord chez VdGG et donc chez Peter Hammill qui en est le cerveau, une dimension ancienne, comme un désir de sonner à rebours de ses homologues anglais. En cela, il se rapproche de Bowie, même si ce dernier s’inscrit dans le futur (Hammill le fera plus tard). Désir profond qui le fait regarder vers l’Europe, et plus précisément l’Allemagne. Intuition critique qui autorise alors toutes les formules les plus saugrenues. “Imperial Zeppelin”, du rock de Kaiser ! Et pas seulement pour sa référence au fameux dirigeable. Si “Candle” apparait dans des habits folk, merci à la mandoline de Ray Jackson, que “Happy” a les atours d’une pièce de musique classique italienne, “Solitude” par sa sécheresse paraît écrite pour célébrer les montagnes de troncs et d’épines aux cimes mouvantes de la Forêt Noire dans laquelle on peinerait à s’enfoncer si l’on n’était pas initié. “Vision” dont le romanesque le dispute au dépouillement poursuit dans cette veine. Sur la face B, “Child” et “Viking” au titre si expressif – mais si peu allemand ! – diffusent cette impression légendaire. Peter Hammill s’est aussi être rassurant et anglais dans l’âme. Aussi, propose-t-il des mélodies limpides, des thèmes alertes pour contrebalancer ses humeurs maussades et ses penchants passéistes. “Re-awakening”, “Sunshine” et “Summer Song (In The Autumn)” se chargent de cette délicate mission. Plus lent, voire lancinant, “The Birds” serait le morceau miroir de “Summer Song”. Hammill ferme Fool’s Mate sur le très beau et émouvant “I Once Wrote Some Poems”. 

Car oui, émouvant ! Quand nous disions que Hammill se plait à fouiller dans l’histoire, à remuer le passé, c’est pour en tirer le meilleur, plus précisément les chansons les plus innocentes, celles des premiers âges. Car l’essentiel du matériel présent sur Fool’s Mate date des années 68-69. Tout est déjà là. VdGG n’existait pas encore mais sa gestation avait déjà passé le cap de la maturation. Constat qui donne à cette œuvre comme à celles qui suivront sa singularité. Hammill et ses hommes ont produit quelque chose de différent, parfois déviant ; ils ont évolué en marge du courant progressif, s’attirant la bienveillance d’un public fidèle au sein duquel poussaient nos petits punks. Enfin, il suffit de prendre le temps d’observer la peinture de Paul Whitehead qui a aussi dessiné les pochettes de VdGG, de Genesis et de Le Orme. Sur la pochette gatefold se déploient toutes les pièces, si l’on ose dire, de ce Compagnon du Fou (Fool’s Mate, jeu de mots typiquement anglais mais dont le vrai sens est Le mat du lion, une combinaison au jeu d’échecs). On y découvre un drakkar, un biplan, un Zeppelin, des pyramides, des personnages parmi lesquels on croit reconnaître Lénine, un surfer croisant un compositeur classique (l’homme de deux tenant dans sa main gauche ce qui serait une partition, des nains de jardin qui font songer à ceux figurant sur la pochette de All Things Must Pass de George Harrison… Et Peter Hammill, au buste sortant d’un trou ou en minuscule petit être à l’ombre d’une tour.  

Au verso, en haut à gauche, un volcan gronde, laissant s’échapper un halo de fumée noire. Est-ce la montagne Van der Graafienne qui attend son heure, celui du réveil éruptif ? Il arrivera quatre ans après – et quatre disques solo plus tard – avec le formidable et Godbluff dont l’horizontalité fait miroiter ces quatre titres à la durée et à l’univers homogènes. Un grand bluff qui semble répondre à une partie d’échec entamée à la fin des années soixante par un Peter Hammill droit dans ses bottes de hussard de la pop anglaise. Le retour de l’histoire, encore et toujours. 

Peter Hammill, Fool’s Mate (Charisma) 

fools-mate.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/315496

 

 

 

 

 


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