On prétend que le rock est mort. Comme si un état d’esprit pouvait disparaître. L’assertion nous est rituellement assenée comme le marteau de la vérité sur nos crânes par des cuistres ou des rabat-joie, parfois – souvent – les deux. Le rock est mort, rangez vos guitares dans leurs étuis, débranchez vos amplis, jetez à la benne vos 33 tours emplis d’électricité. Le rock est mort, RIP les décibels ! Le rock est mort, qu’à cela ne tienne, il nous reste la folk. La folk, ce genre pas trop identifié, catégorie un peu fourre-tout où l’acoustique côtoie l’électrique (Fairport), où les grandes épopées avancent en parallèle au côté des petites histoires d’écrivains du rock, où les femmes marchent main dans la main avec les hommes, où les vignettes transpercent autant les cœurs que les longues cavalcades sur les landes de l’imagination. Enfin, la folk, cette famille qui réunit tout le monde, Anglais, Américains, Canadiens, Français etc. Sheffield et Paris.
Nick Wheeldon est-il un musicien folk ? Difficile de l’affirmer et au fond, peu importe. Son dernier disque Gift est sorti en toute fin d’année – avouez que la chose est déjà cocasse –, comme un pied de nez aux conventions, aux classements déjà établis. C’est un peu le joyau qu’on n’attendait plus, comme cette pépite sur laquelle tombe, après des heures et des heures de patiente recherche, de tamis, le chercheur d’or besogneux. L’ensemble dépasse péniblement les trente minutes, ce qui n’est pas en soi un défaut, l’album proposant neuf chansons passionnantes que l’on écoute en conséquence. Avec respect et curiosité. On s’y abandonne même, ce qui est le propre des grands conteurs. On y revient aussi, ce qui caractérise les récits les plus marquants. Et par le menu détail ? Si l’on met à part “Hail & Thunder” qui renvoie direct, par association d’idées, au Dylan des années 65-66, on tombe immédiatement sous le charme des huit autres chansons donnant à entendre un singer-songwriter bien plus singulier qu’on ne le pressentait. À cela deux raisons. Un son de guitare désaccordée qui donnerait presque aux chansons un petit côté roucoulade mexicaine gentiment West Coast et qui surprend pour cet Anglais installé à Paris, mais qui explique son style apatride, aux quatre vents. Le deuxième est la voix, du moins la manière de chanter de Wheeldon, toujours au bord de la fêlure, comme sur “I'll Never Fall In Love Again”. Enfin, et même si nous n’avions pas annoncé avec grand bruit un troisième ingrédient, une ultime qualité, notons comme il se doit – car c’est la base – la qualité des chansons. La profondeur des sentiments, la mélancolie diffuse n’interdisent pas la quête d’immédiateté, cet or mélodique qui confère à une chanson sa personnalité et lui permet de se donner aux autres, d’être partagée comme un bon vieux tabac, un doux alcool distillé. C’est le cas par exemple de “No One's, Never”, “I Am The Storm” ou encore “Paint The Town” qui comptent parmi les moments forts de cet album de belle cuvée. “Fragile Minds”, tout comme le crépusculaire et théâtral “Saint Marie” font immédiatement songer, calfeutrées dans leur rideau de noir et blanc, aux ambiances de ville dangereuse et de saloon enfumé qui ouvrent Dead Man de Jarmusch. “I Stole The Night” referme l’ensemble avec ampleur et classe, sans falbala d’enregistrement, sans coquetterie de producteur. Le disque a semble-t-il été enregistré live, en un jour, dans l’urgence comme on dit, cet autre qualificatif d’un rock soi-disant moribond mais qui retrouve ici un souffle inespéré, une tendre beauté de cowboy désabusé.
À ce propos, Nick Wheeldon pourrait être apparenté à Greg Ashley, Californien qui au sein des Mirrors et des Gris Gris a écrit parmi les plus belles pages du néo-psychédélisme américain, mais dont les albums en solo se rapprochent du rock cahin-caha de Wheeldon, notamment sur Pictures of Saint Paul Street, discrètement sorti en 2017. C’est donc une petite confrérie d’auteurs qui fait fi des frontières pour se retrouver philosophiquement et musicalement, tout en continuant de produire des œuvres sommes, dont les chapitres sont envoyés à leurs fans – réguliers et nouveaux – comme autant de bouteilles à la mer. Saurons-nous les attraper, nous en saisir, les plaquer contre nos cœurs et les considérer pour ce qu’elles sont : des créations honnêtes, non pas acceptables, mais sincères ? Un don au sens le plus littéral du terme : quelque chose venant de soi. De Nick. Well done.
Nick Wheeldon, Gift (Le Pop Club Records)
https://www.deezer.com/en/album/373342607
Commentaires
Il n'y pas de commentaires