Le folkeux anglais est un arbre. Solidement enraciné dans la terre d’Albion. La position insulaire n’arrange rien. Le folkeux est définitivement sédentaire. Ce qui ne l’empêche pas de regarder au loin ; ce dernier voyage par procuration. Il se sert du temps dont il gravit l’échelle au gré de ses désirs. Les récits anciens sont sa propre carte et sa guitare, une sorte de compas. Mais il arrive parfois, exceptionnellement certes, que cette figure ombrageuse de la tradition fasse fi de la sacro-sainte règle et parte, valises en mains. Bert Jansch est de ceux-là qui osèrent provisoirement tout quitter pour aller trouver sous d’autres cieux le soleil de l’inspiration. Et cette terre promise de la créativité, c’est bien évidemment la Californie, et plus particulièrement Los Angeles dont on sait depuis au moins 1967 qu’elle abrita un eldorado naturel, un lieu propice au ressourcement et à l’écriture : Laurel Canyon. Ce n’était pourtant pas sa première fois.
En 1969, Pentangle vient jouer au fameux Troubadour qui décidément portait bien son nom. Lorsqu’il revient au milieu des années 70, sa réputation l’a précédé. Tout le gratin artistique du Canyon dont Neil Young loue ce virtuose de la guitare et ce compositeur talentueux. Son fameux disque, L.A. Tourneround, bien qu’enregistré entre Crowborough, Paris et Sepulveda (en Californie), conserve cette patine anglaise que vient délicatement chambouler la pédale steel de Red Rhodes. Mike Nesmith des Monkees produit la plupart des chansons de l’album sans toutefois les travestir, donc les trahir. Ce travail de dentelière préserve l’équilibre de l’ensemble et décuple la puissance spirituelle du disque. Jansch a fait de la sobriété le crédo de cet enregistrement. Modestement accompagné, il mise comme aux grandes heures de sa discographie sur son jeu raffiné et sa voix si reconnaissable, chaude mais souvent empêchée par une pelote d’émotion au fond de la gorge. Beaucoup de belles choses, surtout en face A. À noter “Fresh As A Sweet Sunday Morning” dont la simplicité aurorale vous touche en plein cœur, “One For Jo” et “Travelling Man”. En Face B, on n’en est pas moins saisi. La reprise du fameux “Needle Of Death” en est le plus brillant exemple, admirable figure de proue. “There Comes A Time” et le final caracolant de “The Blacksmith ne sont pas en reste. Ainsi va L.A. Turnaround.
Santa Barbara Honeymoon qui lui succède en 1975, semble toutefois avoir été gommé de la galaxie du compositeur. Fort injustement d’ailleurs, car il s’agit là d’une franche et éclatante réussite. Un accomplissement. D’abord parce que l’album est enregistré du début à la fin à Los Angeles, aux Sound City Studios. Bénéficiant d’une instrumentation luxuriante, Californie oblige, les chansons toutes signées Jansch – à l’exception de “Blues Run The Game de Jackson C. Frank – brillent de mille feux. Il s’en dégage une impression de cool, une élégance qui n’est pas la plus petite qualité de leur auteur. Plus encore que sur L.A. Turnaround, cette lune de miel musicale se distingue par son équilibre, la constance de son interprétation et la justesse des choix de production, hormis peut-être “Build Another Band et son steel drum. Il s’agit d’ailleurs de la chanson la plus anodine au-delà de ses options esthétiques. Merveille de délicatesse, la face A jaillit comme l’eau de la roche. Sur “Love A New”, le clavier électrique se met au service de la chanson qui dès lors annonce la ou les couleurs. “Mary And Joseph” resplendit d’autant plus que la chanson qui débutait avec un piano impérial rebondit à notre grande surprise, poursuivant son chemin grâce à la batterie et un synthétiseur, fallait-il y penser ; Bert Jansch l’a osé. “Be My Friend” derrière son apparente simplicité s’avère une ballade émouvante, quant à “Baby Blue”, sa mélodie limpide nous emmène en promenade dans les rues serpentant le long du Canyon. Si “Dance Lady Dance” ose une embardée symbolique à la Nouvelle-Orléans, “You Are My Sunshine” revient au fondamentaux malgré des chœurs gospel de toute beauté.
La face B, elle, ne pouvait pas mieux démarrer avec “Lost And Gone”, poignant motif de guitare propulsé par la voix grave et solennel du maître et des chœurs féminins. Une flûte discrète mais téméraire complète admirablement le tableau. Quand “Blues Run The Game” survient, on reconnait la fameuse et obsédante composition du jeune folkeux anglais, frère spirituel de Dylan et père poétique de Nick Drake. Entre les mains de Jansch cet or devient diamant, la voix se faisant parfois vibrante, rugissante même, sans pour autant trahir l’esprit originel. Une reprise certes, mais ici transcendée. Riche de ses accents pop, servi par une orchestration quasi jazzy, “When The Teardrops Fell” prolonge de quelques minutes encore le rêve californien de Bert Jansch. L’album se termine par l’arride mais funky “Dynamite” et l’hilare “Buckrabbit” avec sa section de cuivres démoniaque et ses chœurs morriconiens. Décidément, l’Ouest réussit à Bert Jansch, comme Morrison l’avait d’ailleurs prophétisé huit ans auparavant (“The West is the best”).
Jansch revient en Angleterre afin de poursuivre ses aventures musicales dans une certaine confidentialité, alors que sa production va encore offrir de jolis moments de magie sur disques. Quelque peu oublié tout au long des années 80, Jansch retrouvera la lumière grâce à une nouvelle génération de musiciens folk mais aussi par l’entremise de labels conscients de voir en ce dernier plus qu’une figure tutélaire. Ainsi, le musicien continuera de sortir des disques jusqu’en 2006. Vingt-et-un albums sous son propre nom, quasi autant au sein de Pentangle ou avec son vieux compagnon d’armes, John Renbourn. Ce que l’on appelle des noces de mercure.
Bert Jansch, Santa Barbara Honeymoon (Charisma)
https://www.youtube.com/watch?v=axYAVdZTTYg
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