On aurait tort de penser que la drogue est la drogue et qu’il en est de même pour le psychédélisme. D’où qu’il vienne, d’ailleurs. Il existe plusieurs versions du genre, si l’on décide de se cantonner aux sixties. Aux USA, l’alliance objective entre folk et blues au service d’une vision plus lysergique a donné naissance, notamment, à l’Acid Rock qui fit les beaux jours de la Californie, du Nord comme du Sud. En Angleterre, le psychédélisme ne quitte que rarement les territoires de la pop avec de jolis succès, et parfois dans des registres différents : spatial avec le Floyd, acidulé avec Traffic, guitaristique avec Tomorrow, orientalisant avec l’ISB. Définitivement pop avec les Beatles. En France, la scène psyché est étonnamment plus débraillée, hippie donc avec Gong, Triangle, Alpes etc. mais revenons à la Grande-Bretagne qui n’a rien perdu de sa vitalité (ré)créative en cette année 69.
Car disons-le, l’année 1969 est charnière à plus d’un titre. Chez les ricains, le psychédélisme y vit ses dernières heures discographiques. Le temps n’est plus à la défonce mais à la défense, dixit les meurtres de Manson. Les groupes se réfugient dans la Folk et la Country dans un retour aux racines plus rassurant. Du côté de la Perfide Albion, le Prog est en embuscade. King Crimson lancera le premier coup de canon esthétique. Le hard rock naissant de Led Zep et Cie joue aussi des coudes. Bref, le patchouli n’est plus vraiment joli. Peter Dunton est lui aussi à la croisée des routes. Ce batteur, organiste, auteur-compositeur et interprète a déjà pas mal bourlingué. Il fut de toutes les coteries. Avant de former T2 qui sortira un unique album prog fort apprécié des amateurs du genre, Dunton s’est longtemps cherché dans le Psyché. D’abord au sein des Flies, appelés parfois No Flies On Us But. Il publie avec ce combo quelques singles entre 66 et 68 chez Decca et RCA. En 1967, c’est l’aventure Neon Pearl qui débute, avec peu ou prou les mêmes musiciens. De courte durée. Puisqu’il enregistre en cette année de tous les possibles, un unique Lp qui ne verra pas le jour. Il sera réédité en 2001. Il pose malgré tout les bases d’un psychédélisme britannique mais qui sait puiser ailleurs ses influences et sa singularité. En 1969, Dunton mène deux projets de front : Bulldog Breed qui publiera un unique album sur Deram, le très hard « Made In England » et Please qui connaîtra le même destin que Neon Pearl. Pas de sortie avant des lustres. Erreur fatale pour les labels de l’époque car l’album si l’on ose dire s’avère excellent, et même addictif. Chose assez logique pour une œuvre psychédélique.
Mais « Please », le Lp, n’est pas une production de plus au catalogue des musiques droguées. Ce n’est pas non plus une œuvre de circonstance, un disque pour humer ou traduire l’air du temps. Les onze morceaux qui le composent, disent un peu plus que les discours d’apparence. C’est un album intériorisé et pas seulement pour son aspect "en gestation". C’est un disque profond mais qui ouvre des horizons, pas tant mélodiques, mais purement soniques. Trois raisons à cela. Un, la prédominance d’un orgue caverneux, Continental Vox ou Farfisa. Deux, la voix de Dunton et son chuintement que l’on devine au fur et à mesure des écoutes. Mais celle-ci se fait surtout lymphatique, hormis sur « But » qui reste sans doute le morceau le plus pop du disque. Celui où on entend plus clairement la guitare. Car c’est bien la troisième raison. La production, voulue ou non, donne l’impression de fondre tous les instruments ensemble, à l’exception de l’orgue qui surnage à chaque plage, comme un mauvais rêve, un bad trip. Please invente alors une sorte de psychédélisme cotonneux, mieux caoutchouteux. On baigne dans un magma dilué, une pâte à friandise au LSD qui donne à l’auditeur cette curieuse impression de s’enfoncer littéralement dans la musique. Et ce n’est l’ajout d’un Fender ou d’un Wurlitzer sur « Steal Your Dreams » qui change réellement la donne. D’un titre à l’autre, on est plus que remué, malaxé dans ces méandres-là.
La première face enchaîne les moments forts qui sont des instants faibles au sens où le pouls de chaque chanson semble étrangement ralenti comme pour mieux nous engluer. On pourrait se figurer à l’écoute du très beau « Seeing Stars » – quel potentiel nom de groupe ! –, qui ouvre judicieusement l’album, la pochette de « A Web of Sound » des Seeds. « Words To Say » démarre sur les chapeaux de roue mais c’était sans compter le trio constitué de « Before », « Time Goes By » et son mellotron bienvenu et « The Road » plus rapide mais pas moins labyrinthique pour tomber dans les sables mouvants de nos esprits troublés (pour paraphraser les paroles de « Mind Flowers » du groupe Ultimate Spinach). La seconde face ne perd en rien de la magie du groupe. Si « Rise & Shine » possède une élégance anglaise et que « Still Dreaming » comme « Secrets » envoient la pop dans les confins, « Who You Know » et le grand final « Steal Your Dreams » planent à cent pieds au-dessus.
Cependant, il ne s’agit pas de faire passer « Seeing Stars » pour ce qu’il n’est pas : une œuvre majeure. Plutôt un document, un témoignage d’une époque où toutes les éventualités devenaient des réalités tangibles puisqu’elles étaient gravées sur disque. Et peu importe que celui-ci ne sorte pas puisque l’Histoire ferait son travail d’exégèse, de réhabilitation. Aujourd’hui, en 2022, on découvre « Seeing Stars » de Please, disque dans lequel on batifole avec nonchalance. En attendant la prochaine comète. Musicale ou faiseuse d’Apocalypse ?
Please, Seeing Stars (Guerssen)
https://www.youtube.com/watch?v=vroGNa28XZY
Commentaires
Il n'y pas de commentaires