Rocabois touche du bois
Pour les aficionados, les fans, les geeks, les nerds, les intellos, les exégètes, les audiophiles jusqu’aux critiques eux-mêmes, la pop serait au fond la musique de l’intime. Pour se faire à cette idée, imaginez Carole King s’installant devant son piano pour écrire, jouer et enregistrer les chansons de son succès, « Tapestry ». Mais la pop c’est aussi le grandiose, le gigantisme, la démesure, ce que l’on pourrait appeler le champ des possibles, vaste par définition. Pensez à Macca, des Beatles aux Wings, à Elton John, Todd Rundgren, ELO, 10CC… De l’intime au grandiose, Rocabois a franchi ce pas et cela – il touche du bois – semble lui avoir réussi. Ainsi pour notre plus grand bonheur, il a transformé ce bois en or musical. D’où le titre de son nouvel EP « The Pleasure Is Goldmine ». Cinq titres, un mini album en somme. Il nous avait pourtant avertis et l’avait même théorisée : la pop XXL.
Qu’en est-il du contenant ? Des chansons ? Le plaisir, cette mine d’or du songwriter, est-il au rendez-vous de l’auditeur ? Oui mais quelques repères critiques d’abord. Sur ces cinq compositions, le terme a son importance, on retrouve le style Rocabois mais bien plus. On y savoure la durée qui permet à son sens inné de la mélodie et de la fantaisie de s’y exprimer au mieux. Les chansons ont quasi toutes la particularité d’être à tiroirs, de ces tiroirs que la curiosité nous pousse à ouvrir, impatients d’y discerner le halo doré des trésors harmoniques. Enfin, la diversité de la production, cet art savant des arrangements hérités de nos amis d’Outre-Manche – leurs frères d’Outre-Atlantique n’y sont pas étrangers – irrigue et transfigure l’enregistrement avec un naturel déconcertant ; disons qu’il est rare de nos jours d’écouter de tels albums, fussent-ils mini. Plus globalement, il émane de cette musique une joie enfantine qu’annonçait le titre. Le plaisir. Plaisir d’écrire, de découvrir que l’on tient une bonne chanson, plaisir de la jouer une fois, deux fois, trois fois, puis de la graver dans le marbre des consoles, même s’il s’agit de home studio. Enfin, le plaisir de partager avec tous le fruit de son travail, sur disque puis sur scène.
Or, à une époque si peu joyeuse, si peu festive, où l’actualité nous rappelle à la triste réalité de l’existence, du "faire avec" (avec les cons, les fous, les connes, les folles), l’enthousiasme a ceci de remarquable qu’il nous redonne quelque espoir en la vie. Tout n’est donc pas foutu, fort heureusement. Quand le monde part en quenouille, il reste la pop, la grande, celle qui éclate en mille couleurs invisibles mais palpables, audibles, perceptibles. On les toucherait presque, mes aïeux ! Démarche généreuse donc qui tranche de plus avec la concurrence, engluée bien souvent dans les postures de mode et les musiques laides. Rocabois n’est pas fait de ce bois-là, donc. Il se réfugie dans le beau. Le splendide, le fastueux. Attitude si peu contemporaine. Sa musique s’ouvre, respire un grand coup, prend de l’ampleur, se réserve quand il le faut. Jamais elle n’apparait linéaire. Les sonorités sont rondes, quels que soient les arrangements, que l’électronique s’invite ou qu’un grand piano s’impose. Tout est pensé, jusqu’à la pochette dont le cercle blanc sur fond noir dans lequel l’artiste s’installe tel un James Bond de la pop.
Résumons cela en un mot : fun. Comme pouvaient l’être les Beach Boys, avant et après Pet Sounds d’ailleurs. Comme le furent les Beatles qui avaient fait du studio une gigantesque salle de jeu sous combles. Sans tomber dans les facilités référentielles, car elles seraient dès lors infinies, la pop de Rocabois est un puzzle de mille pièces musicales, qu’il assemble, déconstruit, reconstruit avec savoir-faire et malice. Et c’est bien de cette dernière qualité dont nous avions tous besoin ces temps-ci.
Olivier Rocabois, The Pleasure Is Goldmine (Acoustic Kitty/Kuroneko)
https://www.deezer.com/fr/album/315251677
Crédit photo : Philippe Dufour
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