La publication de Full House, cinquième album de Fairport Convention, en juillet 1970 fait largement écho à cette idée bien anglaise du « Moment in Time ». C’est l’instant présent, suspendu, fixé, concentré sur un événement, un souvenir, quelque chose que l’on apprécie et dont on voudrait, en vain, prolonger la magie. Heureuse ou mélancolique, cette philosophie de la vie renvoie à une autre expression familière, le fameux « carpe diem » dont on se souvient qu’il fut clamé tel un slogan poétique dans « Le cercle des Poètes Disparus » de Peter Weir. À dire vrai et pour en revenir à Fairport, le groupe en connu quelques-uns en cette décennie soixante-dix où tout semblait changer à la vitesse du son. Les modes se suivaient sans trop se ressembler et il fallait s’adapter ou périr ; telle était la rude loi pour les groupes pop.
Vous me direz, Fairport Convention n’ était pas à proprement parler un groupe pop mais plutôt une formation folk. La Folk leur permettait d’échapper aux tentations de l’air du temps, de la tendance, de couler leur musique dans l’ambre de la tradition afin de la protéger et de lui permettre de durer. Malgré les déconvenues, les mini séismes, les années 1970-71 auront constitué un court chapitre dans leur carrière, isolé par la force des choses. Ainsi, « Full House » est le premier disque publié après le départ de Sandy Denny. Ce n’est pas la seule défection. Ashley Hutchings s’en va former Steeleye Span qui n’est pas le Steely Dan folk ! Conservant la confiance de son label Island, le groupe décide de se relever et sort Full House en juillet 70, après trois mois passés en studio. On retrouve le style de Fairport, à la fois empreint de tradition et d’élégance (merci à Richard Thompson). Les critiques sont enthousiastes, Rolling Stone Magazine comparant Fairport Convention au Band. À l’époque l’importance du Band est primordiale, du moins conserve-t-il une aura auprès des fans et de la presse, servie par le talent de ses musiciens et compositeurs. Même si l’analogie n’est pas flagrante, le son de « Full House » ne perd en rien de sa force émotionnelle. Notamment sur les originaux, cosignés par Thompson/Swarbrick. Sur la première face, « Walk Awhile » et « Sloth » sortent du lot (certes trois morceaux en tout et pour tout). La longueur de « Sloth » permet de retrouver l’élan et la mystique des anciennes épopées soniques comme « A Sailor's Life », « Percy's Song » ou « Matty Groves ». Sur la seconde face, « Doctor Of Physick » semble coincé entre les reprises alors que sa tonalité faite de gravité constitue un autre "moment" fort du disque. Une erreur de tracklist nous aura privé du très beau « Poor Will & The Jolly Hangman », du même duo. La voix de Thompson y fait des merveilles. L’album se referme sur l’incantatoire « Flowers Of The Forest ». Sur la réédition CD, on découvre une chanson originale, éditée à l’époque en single, « Now Be Thankful » et une chanson traditionnelle bénéficiant du savoir-faire instrumental du groupe, l’impressionnant « Bonny Bunch Of Roses ».
Second cataclysme dans l’histoire du groupe : Richard Thompson part navigué en solo. Onde de choc qui réveille le groupe ? Sans aucun doute, puisqu’après l’échec de « Angel Delight » Fairport ouvre et referme aussitôt une très courte parenthèse de deux mois en studio et de quarante et une minutes gravées pour l’éternité. Qui donneront « Babbacombe Lee », concept-album racontant la vie de John Lee, condamné à mort sans preuve, gracié après que la pendaison ait échoué par trois fois ! L’idée retenue aurait pu plomber le disque, force est d’admettre que Fairport retrouve une vitalité qui doit beaucoup au fait que les chansons sont toutes signées par le groupe. S’écoutant d’une traite, les chansons n’étant pas classiquement numérotées sur la pochette et le disque, « Babbacombe Lee » s’avère une réjouissante fontaine de jouvence musicale, trépidante (« Trial Song »), au thème récurrent mais enlevé et où les chanteurs créent des combinaisons aux inflexions touchantes comme sur « Dream Song ». Fairport Convention ose même un piano électrique sur « Cell Song », ornement qui ne trahit en rien l’intégrité musicale de la formation. « Wake Up John (Hanging Song) » vient conclure le disque sur des accents rock, parfois même West Coast si l’on fait abstraction du chorus de violon de Swarbrick. Tant et si bien que l’on peut considérer « Babbacombe Lee » comme un authentique chef-d’œuvre !
Cependant, la découverte, bien que tardive, de ces deux œuvres post-sixties – et l’expression ne tient pas au hasard –, pour importantes qu’elles soient, ne doit pas faire oublier ce « Moment in Time » dans la vie du groupe que fut l’année 1969. Pensez, l’arrivée d’une nouvelle chanteuse, l’indépassable Sandy Denny, et trois albums publiés, tous d’égale qualité ! Certes, on pourra objecter que Fairport n’échappe pas à cette réalité de tous les groupes, à savoir compléter un matériel original de reprises ce qui était usuel dans le genre folk. On ne manquera pas de rappeler que parmi les pourvoyeurs de titres on retrouve l’inamovible, l’incontournable Dylan ; de l’Amérique à la Grande-Bretagne, décidément ce dernier était partout ! Mais le fait incontestable tient dans l’excellence des chansons composées et interprétées par le groupe et, par voie de conséquence, à la perfection de « What We Did On Our Holidays », « Unhalfbricking » et « Liege & Lief ». Comment expliquer une telle créativité dans un laps de temps si court ? Petite précision : « What We Did On Our Holidays » a été enregistré entre l’été et l’automne 68 pour sortir en janvier 69. Le groupe embraie en janvier et jusqu’en avril 69 avec « « Unhalfbricking ». L’album sortira en juillet de la même année. Enfin, « Liege & Lief » est gravé en seulement quinze jour avec une sortie prévue en décembre, juste avant les fêtes. Sans compter les concerts. Fairport Convention joue cette année sans discontinuer, tous les mois, voire plusieurs fois par mois, soit cinquante-quatre concerts en comptant les sessions enregistrées par John Peel ! Une année difficile avec le décès de leur batteur dans un accident de voiture, un changement de bassiste, l’arrivée de Swarbrick. Et pourtant quelle année ! Car tous ces événements, heureux ou tristes, n’entament pas l’élan du groupe qui avait sans doute trouvé avec le trio Thompson/Denny/Swarbrick sa martingale sonore. D’où cet empressement, cet appétit pour le studio. Alors que pour une formation actuelle, il faut souvent attendre 2 à 3 ans entre deux albums avec, parfois, souvent, à la toute fin, la déception comme unique sentiment. Il n’en est rien ici. Avec ces trois œuvres consécutives, nous ressentons l’illumination. Sans subir la convention.
Fairport Convention, Full House (Island Records)
https://www.deezer.com/fr/album/121011
Fairport Convention, Babbacombe "Lee" (Island Records)
https://www.deezer.com/fr/album/162060
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