De 2500 à 3875 et jusqu’à 17500 places, l’écart semble énorme. Ce serait l’équivalent de la Philharmonie pour la plus petite, d’un Zénith revu à la baisse et enfin d’un presque Palais Omnisport de Paris-Bercy. Ce sont des salles, surtout la dernière, où se produisent les mastodontes rock internationaux. Les shows sont bien souvent à la hauteur des moyens techniques mis en œuvre. Crosby, Stills, Nash et Young ont joué durant l’été 70 une série de concerts mémorables dans des Philharmonie, Zénith et Paris-Bercy américains. Normal, ils étaient d’immenses stars. Un super groupe disait-on déjà à l’époque. De leur passage au Fillmore East de New York, à l’Auditorium de Chicago et au Forum à L.A., un album synthèse, et officiel qui plus est, a été tiré, gravé et écoulé à quelques quatre millions d’exemplaires. C’est dire le statut de ce groupe dont on dit souvent qu’il fut l’équivalent des Beatles, ce qui n’était pas si juste mais pas faux non plus, compte tenu de la qualité des quatre songwriters.
Bien des choses vous frappent à l’écoute des deux disques et de ces quatre faces, donc. Quatre encore et toujours. Ce n’est pas seulement la belle énergie du second Lp, réelle et qui donne l’occasion à nos musiciens de briller, instruments en mains. Il n’est pas inutile de rappeler que Neil Young ne fut pas le seul guitar hero du quatuor, qu’à ce rôle pivot, clé, Stills excellait tout autant. Chaque face offre d’ailleurs un morceau rallongé pour l’occasion, « Southern Man » de Young en face C, « Carry On » de Stills en face D dont on dit qu’il l’avait composée dans une chambre d’hôtel, sous l’injonction d’un Crosby exigeant de lui un parfait morceau d’ouverture pour « Déjà Vu ». Orgueil et fierté ! Ce fut la chanson « Carry On » qui s’imposa à peine écrite. On se laissera prendre par quelques frissons au moment où Neil Young entonne le fameux « Four dead In Ohio » de la poignante chanson du même nom et qui s’enchaîne ad lib. Non, ce qui frappe ou touche, pour être plus précis, ce sont les miniatures acoustiques, composées souvent en solo, qui occupent l’entièreté du disque un. Certaines remontent à un passé plus lointain, voire n’ont pas eu le privilège de figurer sur un album. C’est le cas du très beau « King Midas In Reverse ». D’autres, non assumées ou simplement offertes ont été reprises par des groupes amis. Ici, « Triad », offerte par Crosby à Jefferson Airplane et qui conserve dans sa version interprétée par son auteur sa puissance ambivalente. Toutes ces chansons ont bien sûr en commun un savoir-faire en termes d’écriture et de mélodie qui, s’il était partagé par de nombreux artistes, n'était pas une qualité si répandue. On parle de « On The Way Home », chanson de Neil Young présente sur le dernier opus de Buffalo Springfield, des diaphanes « Right Between The Eyes » (Nash) et « The Lee Shore » (Crosby). Ces deux chansons n’avaient jamais été enregistrées avant ce soir, si l’on ose dire. On citera aussi « Cowgirl In The Sand » extrait du second album solo de Neil Young « Everybody Knows This Is Nowhere » qui avait déjà propulsé Neil Young au firmament du rock. Mais là n’est pas le propos.
CSN&Y a beau être un concentré d’égos, et la suite de leur courte et chaotique carrière le prouvera – en pleine tournée, les trois membres virent Stills, ingérable du fait de ses addictions, puis le réintègre ! –, ils n’avaient pas leur pareil pour créer une forme d’intimité, chose d’autant plus remarquable que nous parlons de salles qui ne s’y prêtent guère. Le public que l’on entend, est respectueux, écoutant religieusement ses idoles. On songe à des mots comme hippies, freaks, mais sans éprouver une quelconque forme de moquerie ou de dédain. Ambiance "peaceful" s’il en est. Même constat sidérant avec la tournée 74 du groupe, reformé pour l’occasion, et dont le visuel de la pochette montre nos musiciens assis sur scène devant la foule immense d’un stade. Point de pyrotechnie ici mais une simplicité à l’identique, une décontraction toute californienne, une poésie fragile et légère. Cette réponse à Altamont ravit les historiens et les fans car elle montre à quelle point la résilience est forte, même chez les musiciens pop. Prenez Neil Young qui écrit le diaphane « On The Beach », deux ans après les morts de Danny Whitten et Bruce Berry qui inspireront d’abord le sombre « Tonight’s The Night ». L’alchimie qui s’était opérée avec CS&N puis avec l’ajout de Young se prolonge sur scène dans un sentiment d’harmonie totale. Ce sont ces instants provisoires qui constituent le sel de la carrière du super groupe et que ces deux concerts – l’officiel et le non officiel – restituent à merveille. Certes, la rétrospective de 74, sortie en CD, offre aussi une formation électrifiée, idéale pour transfigurer les compositions les plus fondamentalement rock.
Aujourd’hui, l’expérience live a bien changé. Soit l’on assiste à des shows resserrés, ultra pro et donc sans prise de risque. Soit on vibre dans des stades au son d’une musique qui lentement s’efface derrière la performance technique et chorégraphique. Comment retrouver cette forme de spiritualité naturelle, de communion à grande échelle ? En sortant à nouveau nos vieux albums, par exemple. Comme ce « Concert In Central Park » où un Simon et un Garfunkel plus murs, revenus de tout, retrouvent l’alchimie de leurs débuts. Se dégage de ce disque enregistré devant 500 000 personnes une forme de modestie heureuse dans tous les sens du terme, source de joie pour les fans et souhaitable quand on y pense parce qu’un concert est avant tout une rencontre entre un groupe et son public, comme s’il se croisait dans la rue, non sur un boulevard. Une rencontre, donc un échange, une conversation mélodique à laquelle répondent soupirs, cris, et au final… nos applaudissements.
Crosby, Stills, Nash & Young, 4 Way Street (Atlantic)
https://www.deezer.com/fr/album/601685
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