La France a toujours nourri un complexe s’agissant du rock ou de la pop. Une forme d’illégitimité, arbitrairement actée. En cause ? La langue française qui ne se prêterait guère à l’écriture pop. Certains exemples ne déméritèrent pourtant pas, faisant parfois mentir la remarque narquoise de John Lennon sur le rock français et le vin anglais. D’autres ont louvoyé comme Gainsbourg qui fut sans doute l’inventeur de la punchline. Ce dernier croyait, pas tant aux vertus du langage, mais à celles de la liberté formelle et de la créativité totale, en témoigne la récurrence des anglicismes. Il faut aussi dire qu’une certaine prétention bien nationale doublée d’une volonté de faire du Baudelaire sur rock aura bien souvent perdu nombre de nos artistes dans leur quête appropriative. Et si l’on pousse la comparaison au-delà, l’on observera que le régionalisme rock, s’il existe chez nous, semble bien moins naturel que chez nos homologues anglais ou américains. Les scènes de Besançon et de Montélimar peuvent-elles prétendre rivaliser avec Manchester et Liverpool, dixit Marie Laforêt, Los Angeles, San Francisco, New York ou Detroit ? Vraiment ? Non bien sûr. Et ce n’est pas faute d’avoir eu Etienne Daho à Rennes, les Dogs à Rouen, Ange à Belfort sans prendre le temps d’évoquer la féconde diversité des groupes parisiens d’hier et d’aujourd’hui. Inventaire en pure perte.
Cette gageure, la SSW Sylvia Hansel que l’on connait aussi pour ses romans – c’est dire si elle a, à l’image du premier album de Sagittarius, de nombreuses cordes à son arc – l’a réalisée ! Avec son dernier album « Moselle Hillbillie ». Qu’on ne lui fasse pas le procès aussi inquisiteur qu’idiot de l’appropriation, la musicienne en est originaire et c’est là-bas, sur ces terres si peu hospitalières en apparence, qu’elle a fait son éducation sentimentale, rimant ici avec musicale ; Rimbaud peut dormir tranquille. Le titre de l’album, vous l’aurez compris, et un habile et tendre clin d’œil adressé aux Kinks de Ray Davies, « Muswell Hillbillies », dixième album du groupe sorti le 24 nombre 1971 et le premier édité par RCA. Le Hill-Billie pouvant se traduire par plouc ou péquenaud, vous comprendrez de quoi il en résulte. Ce terme a donné naissance à un genre de musique blanche, à la croisée du rock et de la country, plutôt dansant donc. Fort heureusement, ces indices ne trahissent en rien la singularité, l’étincelante – et insolente – splendeur des dix chansons qui composent « Moselle Hillbilie ». Comme nous l’avons dit plus haut, le corpus référenciel de la compositrice est d’une variété telle que l’on passe des sixties du Velvet aux nineties des Breeders sans ressentir la moindre gêne. L’explication est simple, jamais ces influences n’ont été à ce point assimilées de telle sorte que les chansons sont bien de Sylvia Hansel, et de nulle autre. Point de facilité copiste ou autre tentation revivaliste, notre SSW se livre ici avec naturel et authenticité. Et il faut le noter, insister, arriver à ce point de maturité où les chansons que vous avez écrites sont bien de vous est une chose, allons, pas si rare, mais un processus évolutif tout à fait remarquable. Et ces chansons donc ?
Elles sont parfaitement écrites, vous l’aurez compris car partant de ces histoires qu’on ne peut inventer si on ne les a pas vécues, mais répondant aussi aux canons mélodiques de la meilleure pop. Quant à la production, pour une réalisation home made dont l’artiste ne s’est jamais cachée – pas son genre –, elle impressionne. Les chansons sonnent merveilleusement bien comme saisies dans la clarté d’un studio imaginaire ; on en imagine les moindres détails, c’est plus fort que nous. De cet ensemble de toute beauté qu’on aurait envie de citer dans son entièreté, se dégagent pourtant quelques titres légèrement au-dessus – tous sont formidables, rassurez-vous ! Commençons par le morceau placé en ouverture « Oh Davy ! ». Titre découvert sur scène, il brille dans ses beaux habits enregistrés et au-delà de ses qualités formelles, il s’impose d’emblée comme un tube, disons un morceau que l’on a envie de siffloter, quand tout va bien ou pas. C’est sa force. « Birthing an Angel » débute dans un nuage de sons qu’on peine à distinguer, avec sa voix angélique, et se pose déjà en classique absolu. Pas si évident lorsque l’on découvre qu’il parle d’un avortement. Servi par des arrangements chatoyants, « Picture of a Willow Tree » vous tire les larmes mais sans céder aux facilités habituelles. C’est une ballade, presque un mid-tempo, limpide habitée par la voix de Sylvia Hansel qui trouve des accents touchants. On ne peut s’empêcher de songer aux Shins. Avec son riff piqué ou pas au London Calling des Clash, « Let's Drink to Adultery » rompt provisoirement la magie, montrant à quel point notre autrice est à l’aise dans tous les registres. On apprécie dans ce titre le vrombissement des guitares qui enchaînent sur un final céleste, rappelant « Birthing an Angel ». « A Funeral » vient refermer symboliquement cette première face, puisqu’il s’agit d’un CD. Les guitares magnifiques, tout en trémolos, conviennent fort bien à l’humeur de cette chanson dans le titre aura annoncé la couleur, passée.
L’ironique et cool « Why Don't You Die? » ouvre cette deuxième face et l’on reconnait là l’humour de Sylvia Hansel qui n’a jamais eu sa langue de sa poche. La progression mirifique vers le refrain en fait une chanson hyper séduisante, histoire de ne pas oublier que notre musicienne a su pousser des coudes en citant les Stones, les Pixies et les Breeders. Tiens, on parlait des Stones et de Keith, « Mopping » pourrait largement être une chute de « Exile on Main St. » et ce n’est pas rien qu’on y entend prononcer la célèbre chanson des Pierres Qui Roulent, « Tumbling Dice ». D’un coup, sans crier gare, Sylvia Hansel nous ramène dix ans en arrière avec « Springwater Town » qui sonne comme une soul song à l’ancienne. Mais là encore, l’écoute n’est nullement empêchée par ce saut dans le temps, et ce malgré le solo d’orgue. Il faut dire que la musicienne transforme tout en or, mais le sien. Celui qu’elle aura tamisée le long des rivières oniriques d’un pays fait de multiples régions et états rassemblés. Débutant par un vers habillement emprunté à John Lennon sur « A Day In The Life », « The Fashion Pages » semble mettre à l’honneur les pages des journaux que le Beatle aimait lire afin d’y trouver l’inspiration. Le moment est suspendu, magique. Il est temps de finir mais toujours de manière grandiose. « Easter School » débute à pas feutrés, presque timidement, sur quelques notes de piano pour se retrouver entrelacée par un violon économe de ses moyens. Ce simple apparat propulse la composition ailleurs. Voilà pour les grands moments de « Moselle… » Rho, merde, on les a toutes citées, ces nouvelles chansons !
En guise de conclusion, convoquons une fois de plus Ray Davies au sujet de « Moselle Hillbillie ». Si la musicienne se penche sur ses ploucs, ce n’est pas par condescendance ou mépris de classe, bien évidemment non. Sa geste n’est pas sans rappeler le chef-d’œuvre « The Kinks Are The Village Green Preservation Society ». Manière de dire qu’on n’oublie pas là d’où l’on vient et l’endroit, les gens qui vous ont construits. Sylvia Hansel le sait et il faut voir à l’évidence « Moselle Hillbillie » comme un vibrant hommage. Tous ensemble, solidaires, crions « Moselle, vrai, Moselle Fuckers ! »
Sylvia Hansel, Moselle Hillbillie (Acoustic Kitty/Kuroneko)
https://sylvia-hanschneckenbuhl.bandcamp.com/album/moselle-hillbillie
Photo : ©Alain Frétet
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