Mes chers compatriotes,
il est temps de dresser un bilan, non pas quinquennal mais annuel – c’est déjà ça –, de l’Industrie du Disque, tant du côté des Majors que des Labels Indépendants. Ce bilan ne se veut pas comptable même si la production fut riche de nombreuses sorties ! Il s’agit du fameux Top 2021. Cet exercice incontournable, parfois lassant, doit être malgré tout considéré comme un point d’étape dans la longue Histoire de la pop dont la diffusion de « Get Back Sessions » de Peter Jackson nous rappelle qu’il y eut un âge d’or aussi prolifique qu’incroyable. Comme il est de tradition par ici, nous n’avons pas élargi outre mesure ce classement au 50, voire 100 disques qui ont marqué l’année car un tel chiffre n’a à vrai dire que peu de sens. Nous avons préféré, quoiqu’il en coûte, nous arrêter à 10 albums ce qui constitue déjà un exploit et un sacrifice, pour ne pas dire une souffrance. Choisir c’est se priver, ne dit-on pas ?
L’année 2021 ne s’est pas réellement distinguée en matière de pop, nous voulons dire par là que rien n’a été inventé, aucun groupe n’a rebattu les cartes au point de nous faire dire « Ceci est le renouveau ! », « Voici l’équivalent en leur temps des Beatles ! ». Vous objecterez avec sagesse que là n’est pas la question, voire l’enjeu, qu’après tant de décennies de créativité, l’écriture pop dans ce qu’elle a de facile et de jouissive, se suffit à elle-même, constat tout à fait juste au demeurant. Si nous devions retenir un mot pour qualifier ce top 10, ce serait « contrasté ». En effet et vous le verrez ci-dessous, la liste se veut éclectique, caressant tous les genres, satisfaisant toutes les nations. Ricains, angliches, froggies, canadiens, nordiques, ils sont presque tous présents. Manquent nos amis d’Italie, d’autant que nous avions honteusement loupé le très beau disque du groupe Canarie, le finalement bien nommé Tristi Tropici. Mais nous nous rattraperons par la suite, promis ! Pour le reste, la principale découverte/redécouverte aura été le leader du groupe Lindisfarne, équivalent seventies de Fairport Convention, Alan Hull. Mais nous nous efforçons de parler aujourd’hui de "nouveautés". Entre guillemets car au-delà de la valeur que nous pouvons habituellement accorder à ce mot, les albums qui vont suivre ne sont pas tous signés par des perdreaux de l’année. Qu’il s’agisse des Besnard Lakes ou de Alice Cooper, voire de Burgalat dont le caractère plus confidentiel pourrait le faire abusivement passer pour un artiste débutant, nous évoluons là dans un périmètre connu où chacun a déjà fait ses preuves. Cependant, il arrive que certains s’éloignent, se fourvoient, c’était le cas des Besnard Lakes, mais le fait de figurer ici montre à quel point ils ont engagé un retour aussi impressionnant que salvateur. Mais entrons dans le vif du sujet.
« The Besnard Lakes Are The Last of the Great Thunderstorm Warnings » est un double album ce qui déjà pourrait rebuter, mais il revient avec talent et inspiration à la source originel du groupe, à savoir ce mixe improbable entre envolées progressives et chœurs Beach Boysiens. Avec « Raindrops », « Our Heads, Our Hearts on Fire Again » ou encore « Feuds With Guns », on peut même dire que le groupe canadien tient ses tubes. En tout cas, ce sont des moments suffisamment mémorables pour planer dans les esprits. Le reste, bien que plus abstrait, est à l’avenant. Voilà une sortie qui a tenu les promesses de son annonce !
Un groupe anglais, il en faut toujours un et au patronyme tout en bas de casse, mais quel grand groupe : black midi ! Fort d’un deuxième album totalement maîtrisé, « Cavalcade », nos jeunes virtuoses poursuivent avec vélocité leur passionnant amalgame entre jazz rock kobaïen et rock d’avant-garde. On avait rarement entendu cela, du moins une musique aussi intense, exigeante et pour le coup totalement hermétique aux modes de l’époque. Bravo à eux !
Véritable vétéran de la scène de Detroit, Alice Cooper ne pouvait ne pas figurer dans un classement. Parce qu’il a accompagné, avec le Alice Cooper Band ou en solo, l’Histoire de l’Amérique des cinquante dernières années, pas moins ! « Detroit Stories » comporte son lot de hits imparables, de pop songs passées à la moulinette rock, hard voire les deux. Le plaisir est une fois de plus au rendez-vous et ce malgré une pochette qui n’est sans doute pas l’élément le plus notable de ces histoires de Detroit. Allez-y sans rechigner ! On n’exigera de vous aucun pass salutaire !
Bon Enfant, et nous y reviendrons bientôt, est un exemple parmi tant d’autres de la vitalité de la scène pop canadienne. Pour deux raisons. La première, cette facilité à mêler chant en français – québécois en fait – et mélodie pop à l’anglo-saxonne. La deuxième, une proximité avec la grande sœur américaine qui a permis d’importer un savoir-faire reconnu en matière d’enregistrement et de production studio. Accompagné par l’incontournable Emmanuel Ethier qui avait produit Jimmy Hunt (et son groupe Chocolat), Bon Enfant délivre sur ce deuxième Lp, « Diorama », toute la sève de la meilleure pop, de Todd Rundgren à Abba en passant par Roxy Music. De plus, la pochette est magnifique ce qui ne gâche en rien, au contraire, le plaisir de l’écoute !
Burgalat est un Monsieur en son pays, parce qu’il a produit et sorti ce que la pop française compte de meilleur. On oublie qu’il a publié sous son propre nom des albums importants. Il nous revient en ces temps de Pandémie avec un album viral, « Rêve Capital ». Ici, on retrouve des chansons charmeuses et addictives mais aussi de ces titres plus mélancoliques dont l’artiste a toujours le secret – bien gardé ! Burgalat, c’est à la fois la modernité et l’élégance. C’est ce bon goût de regarder en arrière, sans se plaindre, tout en toisant l’avenir avec la sagesse des anciens. La beauté de ces 18 chansons saute à nos oreilles ! De telle sorte que nous qualifions direct ce Bertrand ! Et pas seulement parce qu’il avait fréquenté, un temps, une autre Valérie. Burgalat forever !
Voilà un choix qui pourra heurter les lecteurs de cette tribune : l’artiste électro Irène Drésel. Non pas que Shebam ait retourné sa veste, viré sa cuti. Mais force est de constater que « Kinky Dogma », pour habile et versatile qu’il soit, colle aux basques de la mémoire. Nous ne faisons pas face au tout-venant de la musique dite électro. Ici, Irène Drésel passe le genre au filtre d’une vision presque hellénique, du moins mélancolique, donnant à ses thèmes une puissance d’évocation fort peu commune. De l’électro qui danse soit, mais qui pense, ce qui est chose rare. Grâce lui soit rendue !
Peter von Poehl est un nom bien connu des amateurs de pop folk indépendante mais le résumé à cette appellation serait injuste. « Memories of Saint Forget » renoue avec un art que le singer-songwriter maîtrise à merveille, la chanson de 3 minutes, non sans essayer d’explorer des univers moins familiers, plus américains pour tout dire. Cette légère inflexion ne dévie pas von Poehl de son but : nous ravir avec des vignettes climatiques et mélodiques. Une gageure à une époque où les modes ont bien souvent le dessus. Long life, Peter !
Lui aussi issu de la prolifique scène de Montréal, POPULATION II n’a que peu à voir avec Bon Enfant. Le trio complété de musiciens de circonstance s’impose comme le meilleur représentant d’un genre si vieux et codifié qu’il est bien souvent difficile de le reprendre à son compte : le psychédélisme. Sur « À la Ô terre », le groupe déploie un imaginaire lancinant et sombre, lysergique à souhait dans la plus pure tradition américaine, entre influences san franciscaines et bostoniennes. D’évidence, le résultat est à la hauteur de nos plus folles espérances et il convient de s’abandonner dans le Lp sans ergoter. À vos buvards, prêts, planez !
Gloria s’avère l’un des nombreux représentants d’une scène qui ne de française que le nom ! Sa source d’inspiration ? Une pop sixties qui ne s’interdit pas de lorgner vers un psychédélisme européen dans la tradition de groupes comme Aphrodite's Child, ni plus ni moins ! « Sabbat Matters » est une totale réussite, déployant ses thèmes aux ambiances pesantes, c’est-à-dire prenantes, sans se départir d’une science du songwriting qui lui permet de décocher un petit single savoureux, « You Had It All ». Sans bouleverser la musique pop des cinquante dernières années, « Sabbat Matters » captive dès la première minute pour ne plus vous lâcher. Ce que l’on appelle en langage drogué un trip !
Enfin, on finit par un autre Français : Olivier Rocabois. S’il a choisi d’appeler son tout premier album « Olivier Rocabois Goes Too Far » c’est sans doute par goût de l’ambition. La sienne relève de la pure anomalie conjoncturelle dans la mesure où elle se relocalise, dans le style et dans la langue, au cœur même de la Perfide Albion. Cela donne une musique éminemment mélodique mais qui ne ménage pas les envolées lyriques. Ainsi, les neuf chansons que Rocabois nous propose oscillent entre les trois minutes réglementaires et les cinq-six minutes où tout devient possible. Pour cela, notre homme sait s’entourer de musiciens compétents et de tout un instrumentarium qui, tel la palette du peintre de la renaissance, apporte ces mille et une touches subtiles et transcende une simple chanson. La chose est connue depuis les Beatles, encore et toujours eux. Chapeau à Rocabois pour avoir renouvelé, et avec quel talent, ce message ancestral !
Voilà. Vous savez maintenant. En résumé, 2021 à l’aune de la pop, cela donne ça :
The Besnard Lakes Are The Last of the Great Thunderstorm Warnings
black midi, Cavalcade
Alice Cooper, Detroit Stories
Bon Enfant, Diorama
Bertrand Burgalat, Rêve Capital
Irène Drésel, Kinky Dogma
Peter von Poehl, Memories of Saint Forget
POPULATION II, À la Ô terre
Gloria, Sabbat Matters
Olivier Rocabois, Goes Too Far
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