Considération triviale certes, mais la pop reste un produit transformé. Entendons par là qu’une chanson ou un album est le fruit d’un processus de création – écriture, composition – et d’enregistrement dont la notion d’artisanat, de labeur même, pourrait lui ôter toute forme d’honnêteté. Or il n’en est rien. Malgré ces étapes tantôt passionnantes, tantôt fastidieuses, un disque raconte toujours une histoire, fictive ou autobiographique, voire dit, dans les profondeurs insondables de son inspiration, quelque chose de son créateur. C’est un miroir freudien où se discerne le reflet de l’inconscient. Membre fondateur du groupe de folk britannique Lindisfarne, singer-songwriter ayant produit en solo quelques albums oubliés mais fondamentaux, Alan Hull est une sorte de rescapé.
Car nous l’avons peut-être négligé, mais en cette fin de décennie soixante, Fairport Convention n’est pas le seul groupe à incarner le renouveau de la Folk anglaise. Lindisfarne prend le relais dès 1970. Signé par Tony Stratton-Smith sur son label prog Charisma Records, Lindisfarne va sortir tout de go « Nicely Out Of Tune » et « Fog On The Tyne » l’année d’après, en octobre 1971. Avec son tube « Meet Me On The Corner », Fog On The Tyne se placera numéro des charts en 72 et deviendra la huitième plus grosse vente de l’année. Les trois albums qui vont suivre verront une baisse d’inspiration et c’est naturellement que Hull se décidera à se lancer sous son nom. Grand bien lui prend car « Pipedream » s’impose comme son premier chef-d’œuvre ; publié en 1973, il atteindra la très honnête vingt-neuvième place dans les charts. Pour « Squire », Hull prend son temps et change de label. Puis silence. Il monte un éphémère groupe en 77, Radiotor, puis reforme Lindisfarne l’année d’après. En 1979, il sort « Phantoms » (sur le label d’Elton John), plus dans l’air du temps, mais qui contient son lot de grandes chansons.
La décennie quatre-vingts déboule et ringardise les éléphants des seventies. Alan Hull s’en fout. Ce qui l’intéresse ? Écrire de bonnes et belles chansons, ce qu’il sait faire. Et « On the Other Side », sorti en 83 sur Black Crow Records, en est la preuve éclatante. Moins connu, sans doute méprisé du fait sa pochette si peu avenante, « On the Other Side » s’avère pourtant bouleversant. Premier détail que les plus réfractaires apprécieront, la production ne sombre pas dans les clichés de son époque. Hull la joue sobre : piano, guitare, basse, batterie et sur certains titres ce qui semble être un clavier Wurlitzer. Pas de synthé putassier ni de basse clinquante. Sans doute le manque de moyens l’avait confiné dans de vieux studios moins bien achalandés en nouveaux instruments. Et puis les chansons, évidemment. Toutes excellentes, hormis peut-être le trop punk « Love In A Cage », celles-ci contiennent suffisamment d’idées, de mélodies limpides pour séduire l’auditeur persévérant – la copie originale du LP est rare et il n’existe que peu de chansons postées sur Youtube. D’où cette étiquette "trésor caché". « On The Other Side » ouvre efficacement l’album et sa longueur permet d’en apprécier tous les aspects, impact et dramaturgie figurant parmi les principaux. « Evergreen » prend le relais de la plus belle des manières, c’est une pure chanson pop au refrain immédiatement mémorisable ! C’est sur « Inside A Broken Heart » qu’un glissement s’opère, comme une sensation persistante. Comme si Hull n’en avait cure, du monde, de la pop, du succès. Semblant au bout du rouleau (sa photo sur la pochette), l’homme tombe la veste en cuir, se livre, se met à nu. Et c’est beau. Désireux de poursuivre son cheminement cathartique, Alan Hull nous livre un brulot politique mais avec humour et douceur. Le titre « Malvinas Melody » a été changé pour éviter les foudres de la censure – la chanson évoque la guerre des Malouines –, recul lui donnant une grandeur d’âme supplémentaire. Sur le refrain, on jurerait entendre Bonnie Tyler sur « Holding Out For A Hero ». On le tient notre héros. C’est Alan Hull bien sûr.
La Face b démarre sur le scintillant et japonisant « « American Man et son refrain multiculturel. Sans doute Hull en pensait le plus grand bien. Voilà pourquoi la chanson rassure, enrobe, réchauffe comme un fugace rayon de soleil d’octobre vous caressant le dos. Sur « A Mystery Play », Hull s’adjoint les services d’un orchestra de chambre donnant ainsi au morceau une élégance certaine. La guitare sur le refrain nous offre un moment de swing. L’ensemble fait modestement songer au grand Randy Newman. Petite rupture dans le contrat pop, « Day Of The Jackal » nous réveille comme un seau d’eau jeté en plein visage, un lendemain de cuite. Alan Hull oscille entre Sea Shanties et blues vieillot façon Paolo Conte, mais là encore, la mélodie emporte tout. Comme nous l’avons dit, « Love In Cage » démarre de façon balourde mais ne brise en rien la magie du disque qui finit sur le tout aussi délicat et randyesque « Fly Away ».
On connait la suite. Hull va sortir trois ultimes albums, « Another Little Adventure » en 88, « Back to Basics » en 94 (un live) et « Satues & Liberties » en 96, à titre posthume puisque le bonhomme décèdera le 17 novembre 1995 d’une attaque. Reste ces neuf merveilleuses chansons et tant d’autres. Écoutez donc « Lady Eleanor », « Clear White Light (Part 2) », « We Can Swing Together », « January Song » ou « Peter Brophy Don't Care » pour vous en convaincre. Si ce n’est déjà fait.
Alan Hull, On The Other Side (Black Crow Records)
https://www.youtube.com/watch?v=HIeagoo7ZmE
https://www.youtube.com/watch?v=OkD5pKU7WsE
Commentaires
Il n'y pas de commentaires