Avant de mourir, dans un mouvement paradoxal du ciel vers la terre, Otis Redding a vécu le syndrome Martin Luther King. Il a eu un rêve. Il a rêvé une soul musique plus adulte, plus sérieuse et paradoxalement plus proche des canons de la pop californienne. Et pour cause, en juin 1967, Otis Redding joue au Monterey Pop Festival. Succès énorme. Ce n’est que l’une des dates d’une grande tournée californienne avec les Bar-Kays qui le voit passer au Fillmore de Bill Graham, à San Francisco. L’histoire raconte qu’ayant loué un voilier dans le port de Sausalito dans lequel il réside alors, Otis est fasciné par le mouvement incessant des bateaux qui entrent et sortent. Cette activité lui inspire les premiers vers de Dock Of The Bay. Plus tard, après avoir enregistré une première version aboutie, il confesse à son épouse avoir éprouvé le désir d’écrire une chanson différente, mieux d’emprunter une autre direction moins traditionnellement soul.
Israël Nash n’a pas eu besoin de suivre le même chemin pour tenter de matérialiser - sans le savoir - ce que Otis Redding avait entrevu avant de trouver la mort si tragiquement. Enregistré dans son studio texan, Topaz concentre quelques éléments typiques d’un rock terrien, tout à la fois gorgé de psychédélisme limpide et de soul. Une sorte de Dock of the Bay du désert comme en témoigne la plupart des titres où souffle un groove aussi tiède qu’un sirocco. Dividing Lines qui ouvre l’album est emblématique de cette direction, avec sa slide faisant immédiatement songer à Breathe des Pink Floyd. À la différence que Nash trouve des accents plus noirs, pas sombres ou mélancoliques mais noir au sens premier du terme, en référence à ces soulmen and women qui furent, tout comme les formations californiennes les plus en vue, les artisans de la musique populaire de la fin des années 60. Bien entendu, des titres comme Closer ou Canyonheart font aussi songer au Neil Young de l’année 72, le moissonneur qui avec Harvest récoltait d’emblée son lot de classiques. La grande nouveauté de Topaz s’exprime sur Down in the Country, viril et suave, ou sur Southern Coasts, étonnement moderne, presque synthétique – on dirait une ballade eigthies – ou Stay qui clôt magnifiquement la face A. Car en plus d’être un interprète aussi inspiré que respectueux, Nash s’impose comme un songwriter singulier. Stay possède ainsi l’allure d’un tube éternel, de celui qu’on écoutera encore dans dix ans, sur la radio d’une voiture de location lancée à pleine vitesse sur une highway américaine.
Rebelote avec la face B. Nash oscille entre l’option Harvest et le style Soul dont Indiana fait magnifiquement la démonstration. Le tout servi par un court solo de guitare électrique sonnant comme ceux de Gilmour sur The Wall. Puis vient Howling Wind, aux chœurs délicatement portés à ébullition, dans un frémissement tel qu’ils rappellent le travail impeccable de Clare Torry. Sutherland Springs peut faire penser à Southern Man, impression assez juste finalement. Le morceau fait référence à la fusillade de l’église de Sutherland Springs le 5 novembre 2017. L’indolence country servi par un harmonica raide comme la justice convient parfaitement au sujet, et la voix de Nash de se faire plus diaphane qu’à l’accoutumée. La proximité spirituelle, esthétique avec le Loner est ici encore plus évidente, ce ni pose nullement problème tant la qualité d’écriture se met immédiatement au service de l’émotion, ici palpable. Les « Empty answers » du refrain nous donnent à réfléchir, et c’était le but recherché. Notons au passage à quel point le jeu de guitare, en pointillé, résonne admirablement. C’est un art difficile et Israël Nash, ou l’un des solistes qui l’accompagne, nous régale ainsi de virtuosité, notamment au moment délicat du solo. Cet autre art étant devenu relativement rare, on en savoure dès lors tout le brio, le lustre électrique. De la même manière que la première face, Nash finit la b et son disque sur un Pressure étonnement moins ouvert, mais tout aussi rock et soul que Stay. Une ne fois n’est pas coutume, on a affaire à un tube en puissance, dans tous les sens du terme.
Israël Nash en bon artisan s’est arrêté à dix titres, et nous lui en sommes gré. L’album possède une durée suffisante pour s’épanouir devant nous sans trop bavarder alors que les morceaux bénéficient d’un temps long, plus propice aux envolées lyriques qu’aux vignettes éphémères. Envolées, le mot est à dessein. S’il est un musicien terrien, Nash n’oublie jamais de contempler le ciel, les étoiles et juste derrière, l’immensité spatiale. Il se rapproche ainsi, non pas du Dead, encore que, mais de Jonathan Wilson, surtout sur ses premiers albums, Gentle Spirit et Fanfare. Même si ici, la fanfare semble plus serrée que débraillée. Dans tous les cas, on Nash dans le bonheur.
Israël Nash, Topaz (Loose)
https://www.youtube.com/watch?v=jjVeq3t7Ctg
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