Il existe un romantisme français (Géricault, Delacroix, Hugo, Chateaubriand), un romantisme allemand (Weber, Beethov, Schuman, Novalis) et bien évidemment un romantisme anglais. Ce dernier dépasse bien souvent les grandes figures littéraires comme Byron, Shelley (Percy et Mary), les sœurs Brontë. Aux États-Unis, la chose semble moins figée, plus incertaine. On pense bien sûr à Ralph Waldo Emerson, puis à Walt Whitman. Écrivains ou poètes reprennent à leur compte ce romantisme si européen pour le tordre, en faire autre chose. Les poètes Beat en sont la preuve. Il y a un souffle romantique dans les vers de Bob Kaufman. Mais parlons d’un autre Bob.
Au tout début, il avait un prénom franc, un prénom d’écrivain : Robert. Mais le jeune Zimmerman se choisit un autre patronyme, pour la légende. Ce sera Bob Dylan. En référence au poète Dylan Thomas ? Pas sûr. Il s’agirait plutôt selon l’intéressé d’une déformation de son deuxième prénom Allen. Bob Allen. Bob Dylan. Peu importe en vérité. Sans passer par le menu détail la carrière discographique du minésotain, faisons un saut de puce vers l’un des axes de sa trilogie moderne, Blonde on Blonde, point d’orgue après les novateurs Bringing It All Back Home et Highway 61 Revisited (l’entame vibrionnante de Like A Rolling Stone). Dans Blonde on Blonde donc, sorti le 16 mai 1966, Dylan invente un romantisme typiquement américain. Pas hollywoodien pour un cents. Quelque chose d’échevelé qui a à voir avec la chevelure électrifiée que le folk singer arbore sur la pochette de l’album. Le flou suggère aussi le mouvement. Dylan EST un artiste en mouvement, qui ne s’arrête pas, dont le cœur bat. Pour le blues, la folk et ses muses. Elles apparaissent de façon claire. Dylan les nomme Johanna ou Sweet Mary. Et quand il ne le fait pas, il les suggère avec lyrisme. Ces dernières surgissent de son imaginaire dans un halo plus tout à fait estival : Rainy Day Woman, Just Like A Woman, I Want You, Sad-Eyed Lady Of The Lowlands. Bien que sorti au printemps, Blonde on Blonde est donc un album automnal, auroral. En cela, on pourrait le comparer à Rubber Soul des Beatles. Même genre de pochette, mêmes vestes en velours, même tonalité musicale. Quand Fourth Time Around rencontre Norwegian Wood (This Bird Has Flown), le sitar en moins.
Blonde On Blonde est le fruit d’une lente maturation qui voit Dylan délaisser – en partie – le blues des origines pour explorer des ballades au sentimentalisme assumé. Son romantisme emprunte différentes voies : pop avec I Want You, autoroutier avec Visions of Johanna qui file droit sans se laisser distraire par l’orgue bouillonnant comme un soleil au loin, rock et enjoué sur Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again et Absolutely Sweet Marie. Sur Just Like A Woman, il décrit une rupture sur le mode ironique mais jamais la musique, légère comme une plume, ne laisse présager de la brutalité de ce sentiment acrimonieux. Alors que sur Most Likely You Go Your Way (And I'll Go Mine), Dylan opte pour un arrangement de fête foraine, tournoyant et entêtant, qui convient mieux à cette chronique amoureuse douce-amère. One Of Us Must Know (Sooner Or) est à la croisée des chemins, à la fois pop dans un habit folk qui fait songer Like A Rolling Stone en plus mélancolique. C’est aussi sur ce très beau morceau qu’on lit le mieux le pouvoir et l’influence qu’exercera Dylan sur la nouvelle génération, Byrds et surtout le Band. Absolutely Sweet Marie quant à elle s’avère un bonbon acidulé, de ces chansons accortes et qui vous mettent en joie pour la journée. En cela, Dylan est aussi un poète du quotidien, de l’existence parfois banale que le destin vient chahuter. Et sans crier gare, surgit alors Fourth Time Around, dentelle folk qui est avec ces autres morceaux cités la quintessence et la somme de cet esprit bohème que Dylan a su si bien exprimer ici. C’est littéralement une source d’eau claire jaillissant de la roche du rock sixties. Enfin Dylan ne serait pas Dylan sans ses morceaux épiques. On le retrouve ici, placé habilement en fin de face D. En toute fin de Blonde on Blonde, donc. Sad-Eyed Lady Of The Lowlands pourrait sembler long, pataud, le musicien chantant d’une voix grave, empesée. Il se dégage malgré tout de cette dédicace à la future Sara Dylan une élégance propre à la Nouvelle-Angleterre.
Faut-il le rappeler, Dylan s’est très vite imposé comme un immense poète (« With your mercury mouth in the missionary times ») et le qualificatif de romantique ne peut que lui convenir. Blonde on Blonde en porte l’indélébile marque en plus de l’extrême musicalité dont il fait preuve, faisant de ce double et roboratif album l’une des pierres angulaires de la pop des sixties, l’un de ces disques qu’il faut avoir absolument écouté avant de mourir. Quant au titre de l’album, les théories fleurissent. Il s’agirait pour certains d’un hommage au Blue On Blue de Bobby Vinton ou des cigarettes de haschisch qu’il enchainait pendant l’écriture et l’enregistrement. D’autres ont cru lire l’acronyme Bob. Quoiqu’il en soit, que les adeptes de la cancel culture se rassurent : Blonde on Blonde n’est pas une allusion sexiste.
Bob Dylan, Blonde on Blonde (Columbia)
https://www.deezer.com/fr/album/1400030
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