Ontologiquement, la musique populaire est traversée de multiples références. Qui plus est, me répondrez-vous, lorsqu’une partie de sa production fait suite à des décennies si brillantes qu’on ne peut les dépasser. Nous voulons parler de cet apogée que constituent les sixties-seventies. Si on ajoute à cela le fait que Jérôme Bosch, en dessinant une partition sur les fesses d’un supplicier dans Le jardin des délices, a inventé la pop avant l’heure, nous ne sommes pas sortis de ce cruel dilemme de la réinvention. Parfois, les références sont piochées ailleurs, piochées au sens où celles-ci semblent plus diffuses qu’un emprunt franc et massif à un genre, une époque ou une école.
Chez Mustang, en dehors peut-être du nom du groupe, très Gainsbourg des sixties, le sens de la référence relève de l’impensé, du hasard, une réalité qui se ferait progressivement jour mais sur la base d’un malentendu. Mustang c’est un peu un carambolage entre David Lynch et Fluide Glacial. Prenons le premier, le plus noble. On le retrouve de façon parcimonieuse, tel un esprit malin, sur la pochette qui montre les trois membres du groupe en silhouettes noires de victimes de la route. Cette dernière, dans un mode campagnard, est prise dans la tourmente d’un orage électrique. On pense à ce plan dans Lost Highway où la route défile dans une accélération exagérément cinématographique, avec des crépitements d’éclairs comme autant de fragments mémoriels. Il y a aussi le titre Memento Mori (film d’horreur sud-coréen pour le coup) qui nous plonge déjà dans un malaise certain. Enfin le look des musiciens, la belle gueule de Jean Felzine, ce côté fifties, elvisien qui rappelle aussi, toujours dans le même Lost Highway, le personnage de Fred Madison joué par le mutique Bill Pulman, sauf quand il se saisit de son sax fou dans une scène de live aussi folle que mémorable.
Et pour Fluide Glacial ? Il faut pour cela dérouler le fil des chansons, s’imprégner de leurs mélodies mais aussi savourer la crudité de certains textes (Loyal & Honnête, Pôle emploi-Gueule de bois). L’auteur pète, tour à tour plus haut que son cul ou sur son sofa, ce qui ne l’empêche de lâcher, si l’on ose dire, de ces phrases purement littéraires comme on aime en entendre dans une chanson pop : « La droiture tue l’ambition », « Fais un effort pour être bizarre/fais-nous envie », «T’es trop vert, tout juste cueilli, te manque le vernis », « Tout par à l’eau dans les verres de Whisky » pour ne citer que celles-là. Felzine les interprète à rebours des modes, en prenant son temps, en jouant à fond la parfaite et belle diction (La maison sur la colline), loin des montages speed et cut. Quant à la musique en elle-même, c’est un parfait mélange entre les riffs du rock et l’évidence de la pop. Cet équilibre lui permet de passer d’un registre à l’autre avec un naturel déconcertant, de l’insouciance (Fils de Machin, Perdu mon temps, Pas de Paris) aux ténèbres froides comme sur le Joy Divisionnesque, voire curien Pas cher de la nuit.
À l’arrivée, ce quatrième album de Mustang apparaît plus complexe, du moins insaisissable, hors-temps, hors-mode, hors-sol. Il plane entre deux ou trois univers, butine quand il veut dans la protest-song tendre malgré tout – en évitant les poncifs, ce n’est pas rien – s’autorise bien des choses – on appelle ça la liberté, elle nous manque tant ces jours-ci – comme le chant scandé, robotique de Je ne donne pas cher de la nuit. L’album se referme provisoirement, vous le verrez, avec le morceau titre dont l’inhabituelle longueur offre au groupe la possibilité de jouer avec leur instrument à l’image du synthé tourbillonnant qui surgit tel un motif récurent. Dans cet espace ouvert, on retrouve aussi cette pop ligne claire incarnée par d’autres formations, françaises ou non, et qui appose sur cet enregistrement un sceau de noblesse infinie. Noblesse renforcée par le fondement même de la formule médiévale Memento Mori, cette éthique du détachement. Il est vrai que le groupe roule à toute berzingue sur une route parallèle à celle du star-system. Faut-il s’en plaindre ?
Mustang, Memento Mori (Close Harmonie/Prestige Mondial)
https://www.deezer.com/fr/album/206060972
Photo ©Marie Planeille : https://www.marieplaneille.com
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