Au-delà du ricanement médiatique et des indignations en plastique, l’image du fameux « Jamiroquaï » pénétrant dans l’enceinte du Capitole restera à jamais dans les mémoires comme un point de bascule, un moment d’une infinie tristesse. Tristesse d’un pays que nous aimons (détester), scindé en deux camps irréconciliables. L’humeur maussade des USA, et c’est bien peu de le dire, a semble-t-il contaminé dans une pandémie d’inquiétude et d’angoisse le monde occidental, jusqu’aux plus petit recoin de la vieille Europe. Nous avons peur. Peur de nous perdre, nous et notre identité, peur d’un futur qui semble haïr le passé et où la culture de l’effacement tient du nouveau crédo, sorte d’épuration éthique dont nous craignons qu’elle ne nous emporte.
Un album sorti il y a de cela 21 ans – une éternité – résume, mieux, concentre cette douloureuse impression : The Sophtware Slump de Grandaddy. Nous, auditeurs, sommes pris dans le mouvement tournoyant, mécanique, d’une vieille machine à guimauve. De cette mélasse au parfum éventé, nous peinons à nous extraire. The Sophtware Slump s’apparente donc à un vortex de sentiments heureux et tristes. Sentiment élégiaque américain pour paraphraser Gregory Corso. La mélancolie qui imprègne le disque tient à trois aspects.
Le premier est purement subjectif. Cette curieuse impression que Grandaddy, pourtant un groupe, se résume à son créateur, Jason Lytle. Lui seul accapare la lumière, enfin parvient-il à éclipser ses compagnons d’aventure. D’abord parce qu’il a signé l’intégralité des chansons, musique et textes. Il y joue de tous les instruments, les autres musiciens n’étant cité que comme performers. De quelle performance s’agit-il, mystère… Enfin, il y a la voix. Fragile et douce, presque ébréchée, le timbre hésitant de Lytle contribue à l’innocence de ces onze chansons extrêmement prenantes.
Le second, il est assez logique, concerne les paroles, du moins le sujet de ce disque. Tel un Philip K Dick de la pop, Lytle philosophe sur les mirages de la technologie et de la robotique. Il évoque aussi ses addictions à l’alcool, ce qui expliquerait presque cette voix brisée mais doucereuse. Mieux, Lytle préfigure les angoisses existentielles liées au climat sans jamais tomber d’ailleurs dans le pathos et la moraline un peu vaine. Il arrive constamment à mettre de la distance dans son propos. Il faut rappeler par ailleurs que ses dons de mélodiste nous permettent d’évoluer dans ces univers thématiques, sans jamais nous ennuyer, de rester simplement émus par la beauté d’une suite d’accord, d’une idée de production, d’un riff de guitare électrique vengeur. Jason Lytle n’a pas oublié la culture skate dont il est issu en bon californien de souche.
Le troisième enfin, c’est cette relecture dépouillée de son chef-d’œuvre et qui vient tout juste de sortir. The Sophtware Slump ….. On a wooden piano. Sur un piano en bois. Cette précision semble un peu mensongère du fait de cette guitare sèche qui s’immisce et à laquelle Lytle ajoute quelques claviers minéraux. Cet exercice qui vaut un peu plus que ledit terme ne fonctionne en vérité que si l’on revient à l’œuvre originale. Malgré tout, on se surprend à être à nouveau touché par une œuvre dont on découvre – vraiment ? – à quel point elle demeure intemporelle. Mieux, elle ne dépareille en rien l’histoire de la pop dont les prédécesseurs auraient pu tétaniser n’importe quel singer-songwriter en herbe.
Pour conclure, et sans passer par une revue détaillée de toutes les chansons avec la meilleure analyse ad-hoc, précisons que, de cet ensemble plus qu’homogène se détachent des titres étendards, emblématiques d’une certaine pop moderne et rêveuse, faisant le pont avec le glorieux passé de formations comme les Beach Boys ou le Floyd et le futur à venir et qui fera de Grandaddy une sorte de Velvet inspirationnel. Comment ne pas voir en Syd Matters un digne successeur (et français de surcroit) de cet éternel Grand-Père. Parmi ces astres détachés, notons donc The Crystal Lake, Chartsengrafs, Broken Household Appliance National Forest, Miner At The Dial-A-View et son merveilleux prolongement So You'll Aim Toward The Sky. Réécoutons The Sophtware Slump pour oublier la Soft War Trump, triste enchaînement de drames humains de sa fin de mandat.
The Sophtware Slump ….. On a wooden piano (Dangerbirds Records)
https://www.deezer.com/fr/album/390849
https://www.deezer.com/fr/album/166482412
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