Nektar, nec plus ultra allemand ?

par Adehoum Arbane  le 19.01.2021  dans la catégorie C'était mieux avant

On a parfois du mal à se représenter ce qui apparait ici, avec le temps et l’indispensable recul historique, comme une saine évidence. La place qu’occupe désormais Pink Floyd dans la Pop Culture ; par Pop Culture il faut entendre l’ensemble des domaines la définissant, cinéma, mode, BD – aux côtés des Star Wars, Indiana Jones, Marvel et DC Comics etc. Leurs quelques gros succès planétaires (Dark Side of the Moon, Wish You Were Here, The Wall) ne sont pas les seuls arguments qui tournent chez nous, critiques rock, professionnels ou amateurs. Pink Floyd incarne cette figure de proue du rock, pas tant psychédélique, mais cosmique non seulement en Angleterre, cela va sans dire, mais aussi et surtout en Europe. Et évidemment en Allemagne. Sans le Floyd, pas de Amon Düül II, pas de Tangerine Dream. Pas de krautrock. Il est une formation appartenant à ce genre si prestigieux de nos jours, certes moins connue, dont le nom en dit long sur cette influence majeure : Nektar. 

L’histoire du groupe autant que leur musique est hallucinante ! Le groupe se forme à Hambourg à la toute fin des sixties, en cette année pivot de 1969. Hambourg, ville qui aura vu passer de prestigieux grands frères : les Beatles. Car les cinq musiciens qui le composent, partagent un point commun avec les Fabs : ils sont tous anglais ! Malgré tout, ils décident de se fondre dans la scène locale, allant jusqu’à opter pour un patronyme dont la graphie se veut rigoureusement allemande : Nektar au lieu de Nectar. Ils se font signer par un label indépendant du coin, Bellaphon, et file à Cologne enregistrer leur premier album : Journey To The Centre Of The Eye. Ce dernier n’aura pas obtenu les faveurs d’une sortie en Perfide Albion d’où son caractère collector. Pour une fois, la réputation est méritée. Prelude, qui l’ouvre en toute logique, convoque donc, comme cité plus haut, les fantômes de Pink Floyd et les mânes des années 1967-1969. Empruntant ses sonorités à Astronomy Domine (versions studio et live) et à Saucerful of Secrets, ce dernier embraye rapidement sur Astronauts Nightmare. Il faut dire que l’album n’est qu’une longue chanson de quarante-trois minutes racontant vaguement le périple stellaire et mystique d’un astronaute kidnappé par des extraterrestres, une sorte de crossover entre Major Tom et Rencontre du Troisième Type. Ce n’est pas ce vernis conceptuel qui nous intéresse ici, mais bien la musique totalement trippante proposant en 1971 – date de publication de l’œuvre – un flashback musical plein de guitares abrasives et de lignes de claviers farfisées. Alternant moments paisibles et explosions acides, Netkar revisite donc en deux faces et un voyage, cette série d’albums gravés par le mythique quatuor londonien qui devait préparer le terrain et la piste de décollage aux grandes œuvres des seventies. Ainsi, Nektar ne manque pas de toiser de près des enregistrements comme More – BO du film dont le jeune premier, Klaus Grünberg, est allemand –, voire même le deuxième disque de Ummagumma. Les treize titres, souvent très courts – seules deux compositions dépassent la barre des six minutes – entretiennent le flou quant à la proximité musicale. 

Le détail le plus frappant tient surtout au fait que le groupe tente de brouiller constamment les pistes de leurs racines. Les voix, quand elles interviennent, sont bien souvent trafiquées. La musique, quant à elle, déjoue les codes habituels de la pop. Pas de songwriting au sens traditonnel du terme mais des jams métronomiques bien dans la mouvance des formations avec lesquelles Nektar partage l’affiche, si l’on ose dire. Pas d’élégance britannique mais la folie, menaçant de surgir à chaque instant. Il y a bien sur la fin une certaine forme de fantaisie britannique (Pupil Of The Eye) mais la Kosmische Musik, même dans ses accents les plus apocalyptiques, reprend très vite ses droits, notamment sur le grand final de Death Of The Mind dont la construction fait aussi penser à VdGG. 

C’est tout naturellement que Journey to the Center of The Eye va trouver sa place parmi les nombreuses œuvres bis mais cultes de cette nouvelle décennie qui, en Allemagne, opposera aux modèles anglo-saxons une digne concurrence. Citons sans s’attarder Inside de Eloy, Lonesome Crow de Scorpions, l’unique Lp de Hanuman, Mother Universe de Wallenstein etc. Ce premier essai de Nektar n’essaie pas de se faire passer pour le chef-d’œuvre qu’il n’est pas à l’évidence. Il s’avère remarquable pour l’esprit et le formidable vent de liberté émanant de cet enregistrement confidentiel qu’il convient de redécouvrir en laissant ses aprioris aux vestiaires. Pourrait-on encore envisager de nos jours la production d’un tel disque ? 

Nektar, Journey to the Center of The Eye (Bellaphon)

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https://www.youtube.com/watch?v=BAbMdwfJB6A

 

 

 

 

 

 


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