Just one Morby

par Adehoum Arbane  le 24.11.2020  dans la catégorie A new disque in town

Quel disque emporterait-on sur une île déserte ? Question rituelle qui nécessite courage et sacrifice. Inversons la proposition. Quelle île déserte emporterait-on dans un disque ? Tournée ainsi, celle-ci se pose. Surtout à Kevin Morby, musicien qui a toujours rapporté dans chacune de ses créations un bout d’asphalte appartenant à ces quelques villes qu’il aura mille fois foulé du pied. Harlem River était une ode à New York, Singing Saw et City Music à Los Angeles. Sur Sundowner, Morby a pris une décision : retourner à Kansas City, le berceau de ses origines, et d’y enregistrer ces dix nouvelles chansons au moment même où il peine à finir Oh My God, son œuvre la plus consistante à maints égards. 

C’est peu dire que Morby est un compositeur de l’espace et du temps. De l’espace d’abord. En effet, comme évoqué, notre songwriter a posé ses valises dans pas mal d’endroits, lieux, villes qui lui ont permis d’écrire des chansons. Sundowner s’impose comme l’œuvre où Morby aura fait tomber les murs et cela s’entend. Cela se voit d’abord… Sur la pochette où un décor de chambre a été installé dans cette plaine typique du Kansas. Le son est ample, les morceaux, non pas distendu, mais ouverts. Sans forcément changer, donc trahir, la formule folk rock qui lui a valu son lot de fidèles depuis des années, Kevin Morby s’autorise quelques idées bienvenues qui donnent à ses chansons un esprit, une singularité. C’est cette ambiance de chant indien d’avant la guerre sur Brother, Sister. C’est aussi ces prises de sons naturalistes comme ce bruit de feu de camp sur le très beau Campfire qui enchaîne sur une sorte de prière, occasion de redémarrer la chanson en suivant une autre piste. On a parfois l’impression que Morby a écrit quelques chansons types, rangées ensuite dans sa boîte à outils. Et de temps à autres, il vient reprendre un gimmick pour modeler une nouvelle mélodie. Cet art propre au compagnonnage pourrait relever du foutage de gueule mais il n’en est rien. Wander fait ainsi partie de ces grandes chansons, parce que simples, mais qui vous hurlent au visage, qui dégoupillent leur émotion sans prévenir. Gare aux éclats ! 

Du temps ensuite. Ce musicien prolifique n’a jamais cessé d’enregistrer. Avec lui, aucun risque d’attendre plusieurs longues années le prochain album. Mais il ne s’agit pas seulement de ce temps-là. Sur la deuxième face, Morby entre un peu plus dans son sujet : le Midwest tel qu’il le dépeint en miniaturiste guitaristique sur le bien nommé Don't Underestimate Midwest American Sun. Mais un paysage pour le moins trumpien (attention, le diable vient toujours du Kansas dixit Procol Harum), d’une étonnante teneur contemporaine. A ce propos, Kevin Morby s’est imposé comme l’un des rénovateurs du langage folk, en témoigne la drum machine qui s’accorde ici très bien avec les accords de piano dont les résonnances nous font voyager ailleurs. C’est toute l’ambiguïté qu’il cultive : un pied dans l’époque, l’autre dans le passé.  Une fois de plus, des bruits ramènent dans cet enregistrement sous contrôle une touche de réel. On a l’impression de suivre un cow-boy solitaire avec son troupeau. A chaque fois et plus encore ici, Morby se joue donc des repères en insaisissable singer-songwriter des temps nouveaux explorant les temps anciens. Et qui le fait parfois en étirant les minutes. Avec A Night At The Little Los Angeles, Kevin Morby renoue avec les longues mélopées citadines (Harlem River, Amen, Singing Saw, City Music). Paradoxalement, ce n’est pas le morceau le plus notoire, du moins sonne-t-il différent de ces prédécesseurs. On est dans l’éthéré plus que dans l’épique. Le temps enfin, c’est aussi la ligne de la vie. Sur Jamie, le musicien évoque, non sans pudeur, la mort de sa meilleure amie et muse Jamie Ewing. Sur Velvet Highway, il la fige dans une peinture kerouacienne contemplative où le piano s’ajoute à son instrumentarium. Une fois de plus, Morby a glissé dans la trame mélodique de ces captations vivantes qui enveloppent une chanson, réalisation forcément artificielle, de chair. Provisions conclut sur des notes connues, ainsi va Kevin Morby qui nous a habitué à tant de belles choses qu’il ne peut, dans la minute, s’en défaire. 

Le dernier doute qui nous saisit. Kevin Morby prendra-t-il un nouveau tournant sur son prochain album ? Et quand ? Les habitudes ont pour habitudes, justement, de lasser. Parfois, il faut tout quitter. Kevin saura-t-il se séparer de lui-même pour mieux renaître en tant que Kevin Morby, singer-songwriter de talent, musicien authentique, créateur qui ne cherche jamais à s’éloigner de son objet d’observation. Un artiste du quotidien. 

Kevin Morby, Sundowner (Dead Oceans)

kevin-morby-sundowner.jpg

https://www.deezer.com/fr/album/166497252

 

 

 

 

 

 

 


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