Je préfère une mauvaise pub à pas de pub du tout. La phrase, de celles que l’on a tous entendue ou proférée, sonne comme une évidence. L’hostilité est parfois plus douce que l’indifférence. Et l’indifférence c’est par définition le vide. La nature ayant horreur du vide, il convient alors le combler, d’exister, de proposer et ce, quel qu’en soit le prix. Un jeune groupe a décidé pourtant de défier cet axiome. Il s’appelle Vacance. Pas la villégiature, le traditionnel chassé-croisé entre juilletistes et aoûtiens, les joies du camping. Rien de tout cela, bien que le groupe se soit formé l’été dernier. Vacance au singulier fait surgir une toute autre imagerie : l’interruption d’une activité, le vide des grands espaces de travail. Clou enfoncé par Nos Futurs qu’on a envie de lire à la mode punk : pas de futur, pas d’avenir. Nihilisme quand tu nous tiens. Mais les choses, enfin les paroles et la musique, sont plus complexes que cela.
Nos Futurs n’est pas sans rappeler les disques que les californiens enregistraient à L.A., dans les années 60, montre en main, avec dix ou douze chansons ne dépassant pas les trois minutes. Cela donnait souvent des fulgurances solaires, des instantanés pop. Ici nous avons affaire à trente-trois minutes d’une pop Brejnev, tendue comme un string à Lacanau, tantôt sombre, tantôt mélancolique. Il y a dans ces onze chansons quelque chose de fané, et qui enivre donc. Entêtantes mélodies à la beauté glacée. Mais sous ces airs marmoréens, Vacance possède une beauté jupitérienne. On leur a dit, « va te faire voir chez les grecs », ils y ont trouvé un label. Ce disque révèle aussi, sans le savoir – ce devait être intériorisé –, une douceur d’été indien en boucles synthétiques. Quelle en est la raison ? La voix et les paroles d’Allison, réellement incarnées. Les mélodies enfin, baignées d’insouciance, acidulées façon lollipop. On est cependant frappé par cette sensation frénétique, quasi dansant, qui traverse comme une flèche la plupart des titres pour les tirer du piège maussade dans lesquels ils pourraient sombrer.
Les chansons, maintenant. Dans le détail. Bord de mer démarre l’affaire dans un tempo de folle fête foraine. On y est littéralement aspiré. La voix, les mots séduisent d’emblée, on pense alors avec audace aux chanteuses yéyé – Claudine Longet pour ne citer qu’elle –, aux nymphes de cristal de la si peu perfide Albion – Cilla Black, Sandie Shaw – et enfin à Broadcast, oui. Cristallisation semble plus alanguie, ce n’en est pas moins un tourbillon émotionnel. Le romantisme de Vacance n’est jamais forcé, c’est un sentiment fugace, presque invisible si ce n’était ce mur sonique, massif, bouillonnant comme le sang qui bat dans les tempes lorsque l’on est amoureux. Les cheveux au vent commence sur une rythmique très 80s, comme un slow, la voix nous semble malgré tout Hardy. Allison y chante les amours adolescentes et il y a dans cette musique du merveilleux, une profondeur bienvenue. Mes Précieuses sonne comme un hymne triomphant. Cette pop-là se veut constamment mélodique, addictive, surtout sur le refrain (très Air période Sexy Boy). L'enfer. On ne pense pas au territoire symbolique, haut lieu du Mal, mais à la section interdite de la BNF. Les claviers y contribuent grandement. C’est l’éternelle variation sur les palpitations qui troublent notre esprit, ces passions qui nous rendent fous. Malgré son entame soft machinienne, très rythmique, Tu m'aimeras a quelque chose de Niagara ; l’analogie ne traduit pas la moquerie, c’est bel et bien un compliment. La voix mutine faisant penser au célèbre duo d’antan. Paris, c’est l’atout charme, la carte postale pourtant douce-amère, dixit l’introduction diaphane et carillonnante. Quand survient Et tout s'écroule : la rythmique ne dément pas la promesse du titre. On penserait presque à Silver Apple. Non ne me dit rien explore le registre de la séparation sur le quai d’une gare, on pense à l’univers visuel de Melville, de la nouvelle vague française des années 60 dont cette chanson représente la BO imaginaire mais idéale. Polaire referme – presque – l’album sur une note expérimentale, très Depeche Mode, en plus exalté et une mélodie James Bondienne. Rêves est un très beau final ouvert – le thème, la mélodie.
Vacance n’a rien inventé, certes. Le groupe occupe brillamment un espace vacant, sorte de jachère pop même si, en vérité, ils sont d’autres aujourd’hui à tenter cette aventure sonore. Mais Vacance a pour lui le charme heureux de la nostalgie dans un monde qui semble avoir déjà tout écrit, pour le meilleur comme pour le pire. Comment vous dire que Vacance est à ranger dans la catégorie « Meilleur ». Meilleur espoir. Une gageure pour une musique froidement synthétique.
Vacance, Nos Futurs (Melotron Recordings)
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