Une douleur articulaire, vous pouvez en être sûr : il va pleuvoir ! Du simple rêve aux signes médiumniques en passant par l’annonciation divine, l’art de la prémonition aura connu des incarnations diverses. Un tel phénomène semble exister s’agissant de la pop et une œuvre – il doit en exister d’autres – s’est attelée pour mission de délivrer un message, presque subliminal si l’on n’y prête aucunement attention. Sorti en novembre 1972, la même année que son prédécesseur, Matching Mole’s Little Red Record n’est pas seulement le deuxième disque du groupe fondé ironiquement par Robert Wyatt suite à son départ de la Machine Molle. Non. Il s’agit de son dernier album. L’année suivante, Wyatt chute bêtement d’une fenêtre et scelle le destin de sa carrière solo. Si l’on fait fi du titre et du style graphique parodique – Wyatt est authentiquement communiste, nul n’est parfait –, Little Red Record n’est pas une ode à la révolution culturelle maoïste. C’est bien plus. Trois signes ressortent, tels des diables, de ce nouveau disque et qui vont annoncer le futur.
Le futur et vous l’aurez compris, c’est l’accident qui fera de Wyatt un compositeur paraplégique. Le premier signe, on peut le lire dans les crédits. Contrairement au premier Lp, Wyatt cède un peu plus de place à ses compagnons en matière de songwriting. On retrouve Phil Miller, MacCormick et surtout Dave MacRae, fraîchement arrivé pour remplacer David Sinclair qui a repris Caravan en marche. Ce dernier compose, seul, le morceau le plus long, Marchides, attelé pour l’occasion à l’hypnotique Starting In The Middle Of The Day We Can Drink Our Politics Away. Marchides est un rouleau compresseur, ainsi démarre-t-il dans une tornade de clavier électrique suivi de près par la batterie de Wyatt. Il trouve à son mitant des accents plus calmes, plus cools, une rivière de Rhodes apaisée qui se mue en demi-torrent jazz et où la guitare ciselée de Miller fait des merveilles. Cette orfèvrerie permanente mène inéluctablement au dénouement, dans une transition idéale avec Nan True’s Hole.
Si Wyatt se retire quelque peu, privilégiant la carte du collectif, il ne déserte pas pour autant les fûts. En témoigne la folie des parties de batterie même si ces dernières conservent une force de frappe sous contrôle, un style ramassé mais une vélocité de chaque instant, comme sur Marchides donc, Nan True’s Hole, Brandy As In Benj, ou Flora Fidgit. Nous avions déjà cité ces titres sans nous appesantir sur le trio qui vient clore cette première face. Nan True’s Hole, Brandy As In Benj, ou Flora Fidgit semblent étrangement reliées, connectées même. Elles témoignent de l’excellence d’un groupe qui, du tumulte brouillon du premier album, a glissé vers une maîtrise, non pas froide, mais plus intérieure. Autant le disque éponyme recelait cette fantaisie toute canterburienne, Little Red Record explore quant à lui des méandres qui trouveront leur accomplissement en face b.
Nous y voilà. Le troisième signe : l’ambiance qui domine cette deuxième face. Il se dégage de cette musique, en cet instant précis, une impression languide et ce, dès les premières minutes. Le claviériste Dave MacCrae en est le principal et grand architecte même si les historiques de Matching Mole ne déméritent pas. Ce délitement sonore dit tout de ce qui adviendra à Robert, comme si l’accident l’avait proprement et littéralement dissout. Gloria Gloom par son début inquiétant, comme un navire dans la brume, pose bien les choses. Fort de ces huit minutes, il permet de détailler tout le panel des émotions, des ressentis, et la musique présentée ici d’apparaître comme une matière des plus malléables. God Song se veut une aparté pop sublime parce que simple. Flora Fidgit retrouve l’allant de la précédente face mais sur la fin, on sent que le cadre bouge. Nous en arrivons à Smoke Signal. Comme son nom l’indique, ce sera donc un signal d’alarme. Quant à la musique, elle ressemble à des sables mouvants, ces derniers privant quiconque s’en approche de ses jambes, héhé. D’une certaine manière, le thème, les arrangements, cette façon que la musique a de progresser en minuscules oscillations, en vaguelettes harmoniques nous amène à Rock Bottom, son artwork blanc, marin, son cadre tout à la fois oppressant et libre. MacRae qui l’a écrit s’amuse à diluer les différentes parties et à ce stade, plus rien n’existe : l’auditeur est plongé dans un éther de sons indistincts duquel il ne se réveillera peut-être pas, ou dans un rêve, qui sait. Comme Wyatt bientôt. Cette douce mousson qui survient, nous l’avons tous ressentie jusque dans nos os. La préscience musicale.
Matching Mole, Little Red Record (Columbia)
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