« Là où Attila a passé, l’herbe ne repousse plus. » Adage antique mais qui a aujourd’hui encore valeur d’avertissement. Qu’il s’agisse de chef de guerre, d’homme d’état à la blonde houppette, l’Histoire n’est pas avare de ces figures à poigne qui bien souvent pratiquèrent la politique de la terre brûlée. La pop qui n’aura connu que des trajectoires inspirantes n’échappe cependant pas à cette funeste réalité. Un groupe issu de la scène de San Francisco témoigne de cette volonté de tout saccager en même temps qu’il explore de nouveaux territoires musicaux. Non, pas que les Neighb'rhood Childr'n, puisqu’il s’agit bien d’eux, firent dans le suicide artistique, mais le point de non-retour qu’ils atteignirent, marque un tournant dans la saga du psychédélisme Bis US, cette seconde division de groupes qui toucha le soleil de l’ambition, plus encore que les formations institutionnelles, au risque de s’y brûler les ailes tels des Icare Modernes.
Au fil des années, de réédition en réédition, on a un peu vite oublié la belle pochette du premier et unique album des Neighb'rhood Childr'n. Dans les fenêtres d’une maison victorienne, comme il en existe des centaines à San Francisco, on découvre les visages de nos quatre musiciens : Dyan Hoffman, Rick Bolz, W.A. Farrens et Ron Raschdorf. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle maison. La vue sur Greenwich Street et Telegraph Hill et le panneau routier, à la flèche tordue, nous indique l’importance de l’endroit : Lombard Street. Certes, sous sommes loin du Golden Gate Park et de Haight-Ashbury, épicentre de la scène hippie psychédélique. Cela dit, le groupe revient de loin. De l’Oregon, et plus précisément Medford. Dyan Hoffman serait une sorte de Ray Manzarek des claviers, talentueuse et érudite. Sa mère l’a initiée au piano dès son plus jeune âge, complétant sa formation d’une culture classique. Sa scolarité coïncide avec son parcours musical. Elle rencontre Richard Bolz, pas encore Rick, mais déjà leader de son propre groupe, les Navarros. Dyan rejoint la bande. Ils croisent alors Harry Arnold, propriétaire d’un club local, et qui a la carte. C’est lui qui les poussera à changer de nom. Et de ville ?
Comme beaucoup de jeunes marginaux, Hoffman et Bolz ont donc fait le fameux voyage. Et ont trainé leurs guêtres jusqu’à Frisco, au cœur de la Baie où l’air marin se mêle à des senteurs, hum, disons plus vaporeuses. Nous sommes en 1967, c’est l’été de l’amour et le nouveau rock explose un peu partout. Nos deux compères enrôlent un second guitariste et un batteur. Les Neighb'rhood Childr'n prennent leur forme définitive. Arnold leur a parlé d’un producteur de la Baie, Leo De Gar Kulka. Ce dernier officie aux studios Golden State Recorders. De mars 1967 à juin 1968, le groupe va enregistrer un album entier, ainsi qu’une belle poignée de singles. Kulka est une gloire locale. Il a d’abord enregistré des sommités du genre de Nat King Cole, Sinatra, Little Richard, Sonny Bono, Sam Cooke. Puis il s’est attaqué à la jeune garde psyché : The Great Society, Afterglow, The Maze, Mad River, Love Exchange et les éphémères musiciens de The Mourning Reign. Nous l’avons esquissé plus haut, Lombard Street n’est pas un haut-lieu de la contre-culture mais cette voie sinueuse, serpentant de haut en bas (selon le point de vue de la pochette), en dit long sur la carrière des Neighb'rhood Childr'n. Et la musique ? D’une durée relativement courte, comme un flash, l’album, lui, ne tergiverse pas et va l’essentiel : au trip. Et aux tripes, cela va sans dire. A l’exception de Over The Rainbow, chanson phare du Magicien d’Oz, et de She’s Got Not Identification, les dix chansons restantes sont signées Rick Bolz.
Le disque démarre sur un riff de fuzz tordu et une batterie tribale, très velvetienne. Up Down Turn Around World donne ainsi le ton. Valse acide, comptine de fête foraine tournant au drame cosmique. L’orgue Farfisa de Dyan transperce le morceau et sa voix, dans la lignée de Grace Slick, s’avère un contre-point nécessaire et splendide au timbre froid de Bolz. Long Years In Space prend le relais. On se croirait dans le premier épisode d’Alien. Très loin des après-midis colorés et fleuris du Golden Gate Park. Deux minutes et cinquante-six secondes de flippe totale. Farfisa insidieux, comme un ricanement de gamin terrifiant ; Damien, sors de ce corps ! Feeling Zero semble plus avenant mais là aussi, la fuzz brûlante et l’orgue aigrelet au phrasé oriental nous emportent dans un tourbillon, à l’image de l’eau s’engouffrant dans le siphon d’une baignoire vide. Vient alors Over The Rainbow. Mignonet mais légèrement inquiétant, scié en deux par un solo de guitare en superposition qui rend cette sucrerie vaine dans sa tentative de vous réconforter. Malgré le bourdon en intro, Changes Brought To Me apparait comme le titre le plus Jeffersonien du groupe. La face A se referme sur la ballade quasi byrdsienne Please Leave Me Alone. Face B comme Bad trip. Chocolate Angel, voilà un titre en trompe l’œil. On n’y retrouve pas le coulant du chocolat, encore moins le chant d’un ange. C’est un morceau brut de transe psyché. Batterie métronomique, orgue psychopathe, guitare déglinguée en forme de gyrophare strident. Même l’interlude peine à masquer les déclamations romeroriennes. Happy Child nous fait glisser dans un rêve plus calme. Il s’agit d’une carte postale heureuse qui n’est pas sans rappeler Being For The Benefit Of Mr Kite. Patterns est l’un des nombreux moments forts du disque, mid-tempo apaisé, presque mélancolique. Happy World Of Captain K renoue avec la folie si chère aux Neighb'rhood Childr'n, avec son recyclage malin d’un thème de Brahms (Danse Hongroise n°5). She's Got No Identification roule sur un rythme plus enlevé tout en conservant ses petites notes épileptiques. L’album s’achève sur Hobbit’s Dream, courte vignette à l’onirisme charmant, comme un baume après la tempête électrique. Précisons au passage l’influence de Tolkien dans le mouvement psychédélique américain dont les paysages fantastiques s’édifiaient en réponse aux brasiers de l’Industrie.
L’album sort en 1968. Et après ? Il y eut cependant volonté de donner suite. Les Neighb'rhood Childr'n ont gravé lors des mêmes sessions quelques singles tout aussi fondamentaux dont le sublime Behold The Lillies signé Dyan Hoffman, le folk I Need Love, le poppy Tomorrow’s Gone et la très belle reprise de Woman Think à la wah-wah gluante et où la voix de Bolz singe celle de Marty Balin. Ces morceaux les plus tardifs (1969) devaient figurer sur le deuxième album, prévu chez Dot/Paramount. Mais il en fut autrement. Comme si les trente-deux minutes de leur premier essai avaient été de trop. Trop fort, trop loin, trop fou. Regardez-les avec leurs coupes au bol anarchiques et leur look de freaks en chemin. Un chemin de non-retour bien entendu.
Neighb'rhood Childr'n, s/t (Atca)
https://www.youtube.com/watch?v=UIXOBykM-xw
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