« Le rock, c’est ce qui englobe tout sauf Wagner » disait Pierre Desproges. Malgré son ironie mordante – l’humoriste fustigeait en fait les décérébrés aphones bramant sur des mots qu’ils ne comprennent pas –, la phrase mérite qu’on s’y arrête un moment. Le rock est-il, tout comme la pop, une appellation générique sous laquelle on viendrait ranger différents sous-genres ou un terme idiosyncratique, vivant indépendamment d’autres genres, pour le coup, eux aussi autonomes ? Les récentes évolutions musicales, et donc culturelles, nous inciteraient à retenir la deuxième option. Et pourtant, le rock américain n’en a cure. Pas rock américain, il ne faut pas entendre la production à l’échelle du pays mais bien une conception particulière et totale qui lui est propre. De nombreux groupes ont incarné cette vision états-unienne : The Band, CCR, les Black Crowes et plus récemment GospelbeacH.
GospelbeacH est un projet parallèle, déjà. Menée par Brent Rademaker, membre fondateur des regrettés Beachwood Sparks, et par Neal Casal, entre autres, la jeune formation californienne se lance à son compte dans l’aventure discographique. Et grave ainsi trois albums remarqués. En 2019, elle accomplit ce qui reste à ce jour comme sa contribution la meilleure et la plus homogène : Let It Burns. Malgré cette consécration personnelle, un drame vient tout bousculer : le tragique suicide de Neal Casal. Son ombre plane sans doute sur l’album qui commence par le très beau et mélancolique Bad Habits. Mais la magie de ce disque ne réside pas là. Fort de dix titres formidablement écrits, Let It Burn concentre ou synthétise cette idée d’un rock américain englobant, enveloppant. C’est-à-dire brassant à peu près tout. Du blues à la folk, en passant par la country bien sûr, mais aussi la pop jusqu’aux plus petites traditions orales des musiques traditionnelles appalachiennes. Let It Burn ressemble à une encyclopédie de tout cela. Chacune de ses chansons fait penser à Neil Young, Tom Petty dans ses grandes heures, Gram Parsons en particulier et parfois aux Byrds en général. L’idée n’étant de réduire le propos à un bête inventaire. Même si l’on trouve aussi, il est vrai, des sonorités californiennes rappelant les Beach Boys. Relisez le nom du groupe en détaillant chaque lettre, majuscules et minuscules. Le Gospel de la Plage. La CountryFornienne oserions-nous dans un hasardeux mot-valise.
L’album est une réussite, nous l’avons dit, et ce n’est pas Dark Angel qui le démentira, rock efficace qui nous jette direct au milieu d’un combat de coqs entre Dylan et Springsteen. On y entend un très beau clavier électrique, sans doute un Fender Rhodes, ce qui localise immédiatement cette musique évidente en ces régions chaudes de la Californie du Sud. I'm So High joue la carte du single court et jouissif, intro avec son double riff de guitare et de piano, et son refrain qui colle à la peau des oreilles. Baby (It's All Your Fault) s’annonce comme la grande ballade de cette première face, montrant à quel point Brent Rademaker et Trevor Beld Jimenez sont de très honnêtes songwriters, voire plus. Il y a un génie simple dans cette chanson touchante. Get It Back vient clore cette première partie sur une tonalité mélancolique : mellotron, Fender Rhodes et motif discret de guitare en font un hymne grandiose. Preuve que dans le rock américain, il n’est nullement question de sonner ancien ou moderne tant que les compositions sont là et que l’interprétation les transcende.
Placé en ouverture de la face b, Fighter est de loin le titre le plus long de l’album. Six minutes et quelques secondes, le temps de raconter l’esprit de ce pays décidément incroyable, que l’on se plait à détester et que l’on déteste adorer. Quand les américains montent sur le ring, cela donne ça. À ce stade, il est inconcevable que cette chanson et ce disque ne trouvent pas un auditoire plus large que les quelques fans geeks qui se passionnent à son sujet. Unswung nous ramène illico en terrain pop, étape nécessaire et joyeuse avant le grand final. Les trois derniers titres sont un enchaînement parfait, cet aspect de la conception et de l’enregistrement d’un disque est souvent délicat. On peut parfois le rater sans le vouloir. Unswung est donc un mid-tempo groovy, glissant comme un trait de pluie sur la fenêtre fermée d’une voiture lancée à pleine vitesse sur la route. Nothing Ever Changes, c’est un peu le dernier baroud d’honneur rock, un excellent morceau balancé avant le tomber de rideau. Ce qui ne l’empêche pas d’être, contre toute attente, substantiel. Let It Burn débute de manière chamanique avec le refrain chanté en français par une voix féminine : laisse brûler répété trois fois. On se croirait en train d’écouter L.A. Woman. L’équilibre entre une approche viril et les caresses du Fender renseigne sur le niveau de maturité du groupe, sur le plaisir qu’il prend, à l’évidence, à jouer. Une conclusion qui restera dans les mémoires.
Du début à la toute fin, GospelbeacH donne tout ce qu’il a, fait chavirer nos cœurs en usant d’un savoir-faire typiquement local. On parle de Los Angeles, de l’état de Californie mais aussi du pays tout entier. GospelbeacH a tout compris, englobant tout sauf Wagner et encore. La puissance de l’ensemble pourrait largement arracher quelques larmes à Richard s’il était encore des nôtres. Let I Burn est, vous l’aurez compris, un album splendide. Du grand Art. Total et Riche. Que demander de plus.
GospelbeacH, Let It Burn (Alive Naturalsound Records)
https://gospelbeach.bandcamp.com/album/let-it-burn
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