Il y a deux types de psychédélisme. L’authentique, le philosophique, voire le mystique. C’est un psychédélisme de quête, de dépassement de soi, un psyché de l’introspection et parfois même de l’oubli. Le deuxième est résolument opportuniste. C’est un psychédélisme de façade ou d’apparat, peu importe. Au mieux brille-il, au pire sonne-t-il creux. C’est avant tout un psychédélisme de fonds de commerce. Difficile de situer les uns et les autres dans telle ou telle catégorie sans tomber dans le procès inquisitorial. Malgré sa pochette 100% lysergique – le lettrage, les photos superposées comme pour le Piper du Floyd –, Bare Wires de John Mayall n’est pas un disque de posture, pire dans l’air du temps.
Mayall se fout comme de l’an quarante des modes. Pensez donc, en 1967 son précédent album s’appelait Crusade. Comprenez Croisade pour le Blues. Quand il se lance dans le projet Bare Wires (fil nu ou barbelé), il n’a pas perdu sa boussole. Certes, il ne se complet jamais dans le rôle du vieux bougon, de l’ours hibernant en plein été pop. En sage anglais, il observe. Soucieux de renouveler ce langage né à une autre époque, sur un autre continent, Mayall approfondit sa recherche d’une esthétique à la croisée des genres : blues, jazz et rock. Dans ce contexte vont naître les chansons de l’album et cette première face consacrée en entier au morceau titre et qui serait, osons la comparaison, un acte de naissance d’un progressive jazz avant les canterburiens. Deux choses sont à noter à l’écoute Bare Wires Suite, c’est son nom officiellement imprimé à l’intérieur du vinyle. John Mayall et ses Bluesbreakers – soit une section cuivre composée de Chris Mercer (futur Juicy Lucy), Dick Hesckstall-Smith au tenor et au soprano qui formera Colosseum avec le batteur ici présent Jon Hiseman, Mick Taylor à la guitare, Tony Reeves à la basse et Henry Lowther au violon – restent dans leur zone de confort. Jamais le groupe ne va chercher ces instruments exotiques si chers au psyché britannique. Ils n’ont pas besoin de cela. Ainsi entend-on un harmonium en introduction, puis c’est le violon sur Where Dit I Belong qui a la charge de nous emporter ailleurs, comme ça, dans un souffle, une brise si légère qu’on se surprend même à le constater. I Started Walking nous ramène vers les rives du blues. Open Up A New Door s’enchaîne sans hiatus – une des qualités de cette suite étant le mix –, quant à Fire il s’agit d’une escapade rêveuse dont le solo de batterie, jamais démonstratif, contribue à l’ambiance de manière judicieuse, se fondant avec l’harmonica de Mayall et les voix en échos dans un tableau impressionniste qui renverrait presque – thématiquement, s’entend – au titre de Spirit, The Great Canyon Fire In General. Après cet enfer sonore, le groupe retrouve la paix le temps d’un I Know Now sublime où des notes de clavecin permettent au groupe cette échappée acidulée, mais pas acide. Bare Wires se referme sur Look Into The Mirror, plus enlevé, jazzy en diable. Notons au passage les noms des chansons, toujours évocateurs de paradis artificiels, sans jamais sans vraiment les approcher et c’est heureux.
Le deuxième point et vraie qualité du disque, ce sont bien sûr les chansons. Toutes ces innovations, aussi légères soient-elles, se mettent au service du songwriting de Mayall. La face b s’ouvre sur le classieux I’m A Stranger, plus classiquement Mayallien. No Reply permet à Mick Taylor de montrer ses talents à la wah-wah. Le trio Hartley Quits, Killing Time, She's Too Young s’apparente à du pur Mayall, sans jamais ennuyer ni se répéter. Enfin, l’acoustique Sandy vient clore ce grand disque, retrouvant les accents « psyché » de la première face. John Mayall n’est pas homme à se relâcher malgré les nuages lysergiques qui devaient alors planer sur Londres. Le musicien embarque pour L.A. où il va s’installer et écrire les plus belles pages de sa foisonnante discographie. Soit Blues from Laurel Canyon sorti la même année et le live capté sur disque – comme il était coutume de le faire durant les sixties – The Turning Point, donné au Fillmore East le 12 juillet 1969. Ce dernier explore une veine encore plus radicale, puisque le groupe y joue quasi sans électricité, à l’exception du maître épaulé par sa Fender Telecaster. The Turning Point incarne à merveille cet esprit hippie, entre ruralité et hédonisme sud-californien. Mayall n’aura jamais été le pape du psyché. Il ne voulait pas endosser ce costume. Il fut pour notre plus grand bonheur un prêtre hautement spirituel. Mayall, l’abbé.
John Mayall’s Blues Breakers, Bare Wires (Decca)
https://www.youtube.com/watch?v=8Nh-rjQwvE0
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